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Tous les épisodes, les moindres détails de ces heures bénies sont dans toutes les mémoires et n’en sortiront plus.

On me montre, au Café Central, la table où le dessinateur Hansi, aujourd’hui officier dans l’armée française, brûla ostensiblement du sucre, pour purifier l’air, après qu’on eut parlé de l’officier prussien von Forstner, lieutenant au 99e d’infanterie à Saverne, lequel ne se gênait pas, lui, pour déverser sur nos Lorrains et sur nos Alsaciens les plus grossières injures, appelant ceux-ci Wackes et ceux-là Schangels, ce qui constitue, comme on sait, quelques-unes des plus élégantes aménités du vocabulaire d’outre-Rhin. Ce geste, qui n’était qu’un amusant mouvement de légitime défense, valut à Hansi, aussitôt dénoncé par un mouchard, la peine de trois mois de prison.

— Ce n’était qu’un commencement, me dit l’aimable guide à qui je dois la précision de ces souvenirs des années malheureuses. La recrudescence des persécutions, dans les mois qui précédèrent immédiatement la guerre, ne nous laissait aucune illusion sur les desseins des Allemands, gros ou petits. Ils étaient plus insolents que jamais. Ici, à Colmar, il fallait voir de quel air les rittmestres du 14e régiment de dragons et du 3e régiment de chasseurs à cheval nous toisaient, lorsqu’ils nous rencontraient dans la rue des Deux-Clefs ou sur la place du Marché au Bétail, devant leur caserne de cavalerie !

Les Boches avaient pour consigne d’agir en Alsace comme « en pays ennemi (in Feindesland). ». C’était la conclusion d’une longue circulaire de M. von Jagow, alors préfet de police à Berlin. Les poursuites succédaient aux poursuites, les procès aux procès, les condamnations aux condamnations. Le proviseur allemand du lycée de Colmar, un M. Gneisse, a cru reconnaître son profil dans une caricature insérée par Hansi au Journal de Colmar que dirige l’abbé Wetterlé. Cinq cents mark d’amende pour Hansi. Deux mois de prison pour Wetterlé. Ce n’est pas tout. Les jolis dessins en couleurs que Hansi a intitulés Mon village, et où la vieille Alsace apparaît avec ses maisons rustiques et ses costumes délicieusement surannés, ont paru séditieux. L’ordre est donné de poursuivre l’audacieux auteur de ces images subversives. Accusé de haute trahison, il est cité à comparaître devant le tribunal d’empire, à Leipzig ! Là, on lui reproche (ce sont les termes mêmes de l’acte d’accusation) d’avoir voulu accréditer en France l’opinion que