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j’étais encore sous la coupe de mon tyran, cela parce que, dans ta lettre, tu me transmettais le conseil du cousin de Leschamps. Ce cauchemar a été si pénible qu’il m’en reste comme une obsession. Regarde-moi, ma délicieuse Suze, avec tes yeux couleur de pervenche frileuse que j’aime tant, et pardonne-moi d’avoir fait comme dans ta chanson :


Que l’on mette mon cœur
Dans une serviette blanche,
Qu’on le porte à ma mie
Qui demeure au pays
En disant : « C’est le cœur
De votre serviteur. »


« Et puis, dans ce pauvre cœur que te porte cette lettre, il y a autre chose que cette rancune inexpiable contre mon mauvais génie. Il y a la joie de t’avoir rencontrée et que tu m’aimes. Il y a ma reconnaissance pour ta chère mère, qui a vraiment l’âme de la mienne. Je peux te donner d’elle, par bonheur, d’excellentes nouvelles. Je l’ai vue hier, chez la nourrice du petit, qui prospère, lui, magnifiquement. Cette nourrice dit qu’il me ressemble. Puisse-t-il, si nous devons lui donner un frère, ne pas trouver dans ce frère un cadet qui ressemble, lui, à mon ainé, et qui lui gâte sa vie, comme Blaise a gâté la mienne !... J’y reviens. Tes yeux, tes chers yeux, ma Suze ! Laisse-moi les baiser longuement et que mon ange blond exorcise mes diables noirs.

« Ton petit mari.

« A. M. »


Paris, l" novembre 1906.

« Qu’il me tarde que cette tournée soit finie, ma bonne amie, et comme tu me manques ce soir ! Tu es partie juste au moment où nous vivions de nouveau cœur à cœur, après le long malentendu de cet été qui a suivi ma folie, cette absurde culotte au tripot, que je n’aurais jamais prise, si je n’avais pas bu un peu trop cette nuit-là, et je n’aurais pas bu si je n’avais pas été si triste de ne plus rien trouver, depuis ma pleurésie de cet hiver, pas une affaire, pas un courtage, pas une annonce. Alors j’avais espéré qu’un coup de baccarat me permettrait d’apporter de l’argent, moi aussi, à la popotte. Enfin,