Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/546

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’étaient devenus Jacquet et ses trois coaccusés ? Nous savions qu’il avait été conduit à Anvers, où il se trouvait détenu dans l’ombre et le mystère, puisqu’il portait, durant les promenades réglementaires, une cagoule. Les semaines succédaient aux semaines. En ville, depuis le 15 août, jour où avait été levée l’interdiction d’être dehors après cinq heures, la vie était redevenue à peu près normale. Voici septembre. Quinze jours s’écoulent. On se remet à parler du procès criminel intenté à nos quatre compatriotes. Ils sont enfermés à la citadelle, où siège le Conseil de guerre. Des nouvelles sinistres circulent. Le bruit, hélas ! trop vraisemblable, se répand qu’une quadruple condamnation à mort est sur le point d’être prononcée, si elle ne l’est déjà.

Le mardi 21 septembre, il était dix heures du matin, quand on m’annonce la visite de Mme Jacquet. Je vois entrer une dame en toilette sombre, les yeux rouges d’avoir beaucoup pleuré. Elle m’était présentée par notre cher ancien doyen des Sciences, le professeur Demartres. C’était un peu aussi sur le conseil de son mari qu’elle venait vers moi. Elle éprouverait quelque douceur à s’ouvrir de ses craintes auprès d’une amitié qu’elle se savait acquise ; et puis, qui sait ? peut-être mon intervention aurait-elle chance d’être accueillie. Hélas ! la pauvre femme se faisait illusion. Le peu qu’il me serait permis, je le tenterais toutefois, mais sans m’abuser sur les résultats.

Je connaissais M. Jacquet, pour m’être rencontré trois ou quatre fois avec lui au café Dantigny, établissement fréquenté par les bons patriotes et où la présence d’Allemands était rare. C’était un homme d’âge mûr, robuste et fort, les yeux masqués par des lunettes, d’apparence énergique. Depuis le début de la guerre, il s’était donné tout entier à des missions patriotiques, dont la principale était l’organisation des secours aux soldats cachés. Ne s’était-il pas assigné d’autres tâches, plus périlleuses même que celle-là, qui l’était suffisamment ? Il le donnait volontiers à entendre. D’ailleurs, il se riait du danger, défiait « les Boches » les plus subtils de rien relever contre lui. « Oh ! me dit-il, ce n’est pas l’envie qui leur manque de prendre la pie au nid. Déjà, ils sont venus perquisitionner chez moi. Je leur ai facilité leurs recherches : « Faites, mes bons messieurs, fouillez partout ; tenez, ouvrez donc ces tiroirs. Qui sait si vous n’y découvrirez pas Joffre ? » Naturellement ils n’ont rien trouvée