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— Tout cela, madame, était d’une jolie crânerie française, mais combien imprudent !

— C’est vrai, monsieur. Mon mari a le défaut d’être trop franc. Et cette franchise lui aura coûté bien cher.

Mme Jacquet me raconta alors ce qui suit :

« Un matin, Mme Maquet, professeur à l’Ecole Jean-Macé, conduit chez M. Jacquet un certain H..., qui se donnait pour un soldat français évadé des prisons allemandes. Le maître de maison était absent ; sa fille reçut le réfugié R… revint et, cette fois, trouva M. Jacquet. Il se dit Breton, fils d’un capitaine ; à Mme Dejelder, habitant à Lille, 20, rue Alexandre-Leleu. il avait donné l’adresse de sa mère. Fait prisonnier à Laon, il avait réussi à s’échapper, et à atteindre Saint-Amand, où il s’était terré pendant six mois. De là il avait pu passer à Lille et trouver un domicile, chez Mme Dejelder. Vu son âge, il n’avait qu’un désir : rejoindre les rangs de l’armée française. C’était pour obtenir à cette fin les facilités nécessaires qu’il s’adressait à M. Jacquet... Comment, après un tel récit, concevoir même une ombre de méfiance ? C’est pourtant ce II... qui, inféodé à la police allemande, a guidé les espions et présidé à l’arrestation de mon mari.

« Quoi qu’il en soit, R... ou le prétendu R..., faute du document révélateur qui devait accabler mon mari, en aurait été pour sa courte honte, sans un concours de fatalités vraiment inconcevable. Ainsi qu’il vous l’avait dit, antérieurement déjà mon mari avait été l’objet d’une perquisition infructueuse. La liste des soldats cachés que son comité assistait et qui renfermait 200 noms n’était plus en sa possession. Elle était passée aux mains de son associé le sergent Deconninck, qui l’avait dissimulée au plus profond d’un fauteuil. Ce papier, nos policiers l’ignoraient, mais ils en devinaient l’existence et ils s’étaient juré de le découvrir. Voici ce qu’ils imaginèrent : deux d’entre eux entrent dans un estaminet, se donnent pour des soldats belges, s’informent chez qui aller pour joindre le Comité organisateur des secours. On leur indique M. Jacquet. Ils se rendent chez celui-ci, naturellement ne trouvent rien. Ils le questionnent sur son ami Deconninck, demandent son adresse. Mon mari feint de ne pas comprendre et donne l’adresse d’un autre Deconninck. Se doutant de la supercherie, ils retournent à l’estaminet et cette fois ils sont exactement