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renseignés. Ils se dirigent vers la demeure du sous-officier. Mais ces allées et venues avaient pris du temps. Le véritable Deconninck, mis au courant de ces démarches, s’était ému et plus encore que lui, l’épicière dont l’habitation est contiguë à la sienne et avec laquelle il était en relations d’amitié. Celle-ci se persuade que le mystérieux fauteuil n’est pas en sûreté chez lui, qu’il sera bien mieux abrité chez elle, et elle a la funeste inspiration de l’y faire transporter. Or, deux autres policiers postés en face veillaient. Un fauteuil qui passe, en pleine rue, d’une porte à l’autre, cela n’est pas naturel. Nos hommes se précipitent à l’épicerie, se saisissent du meuble, le tournent, le retournent, le secouent une heure durant, et enfin à force de sondages, la liste fatale leur apparaît. Dès lors, on tient les preuves tant désirées. On peut, sans ombre de scrupules, arrêter son auteur. L’opération ne tarde guère, et c’est R..., le sourire aux lèvres, qui la dirige.

« Mon mari fut emmené à Anvers, où il fut, cinq semaines durant, maintenu au secret et soumis au traitement le plus rigoureux. De là on le reconduisit à Lille. Cinq nouvelles semaines de détention à la citadelle. Enfin, le 16 septembre a lieu la mise en jugement des quatre accusés. L’audience commencée à sept heures et demie du matin s’est prolongée jusqu’à neuf heures du soir. »

Nous touchions au point critique du douloureux récit. Mme Jacquet, surmontant son angoisse, l’achève avec une stoïque fermeté. D’après elle, le défenseur de son mari, l’officier Meyer, aurait mis tout son cœur dans sa plaidoirie. Et, quand, en dépit de tout, le verdict de mort eut été rendu, c’est en larmes qu’il vint l’annoncer à la malheureuse femme, promettant de ne rien épargner pour obtenir que l’Empereur fit grâce. Je voudrais pouvoir m’associer sans réserve au témoignage de Mme Jacquet, si honorable pour l’avocat militaire Meyer. Mais il est un mot de lui qui me ferait rabattre de cet éloge. Au cours d’une conversation, il lui échappa de dire : « M. Jacquet aurait dû se rendre à la Kommandantur et déclarer simplement qu’il abritait chez lui un aviateur anglais ; celui-ci en aurait été quitte pour devenir prisonnier de guerre ! » Et la noble femme de répondre : « Mais vous-même, dans votre pays, auriez-vous commis cette action, indigne d’un patriote ? » L’officier Meyer avait gardé le silence.