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LES DERNIERS MOMENTS DE M. JACQUET

L’attitude de M. Jacquet fut, d’un bout à l’autre de la séance, digne du grand Français qu’il était. Un instant, il s’écria, regardant le tribunal bien en face : « Qu’on me fusille ! Mais prenez garde ! Vous vous attirerez de terribles représailles. On fusillera un de vos généraux, un de vos gouverneurs… Si l’on m’exécute, j’irai à la mort sans sourciller. » La fermeté de Deconninck ne le céda en rien à la sienne. La netteté de leurs réponses fit l’admiration des juges. Un de ceux-ci se leva un instant et dit : « Il y a ici deux hommes d’une absolue franchise, Jacquet et Deconninck. »

Venons à la sentence. Quatre chefs d’accusation avaient été relevés contre Jacquet : 1° avoir caché des soldats ; 2° avoir aidé des soldats à franchir des lignes ; 3° avoir recueilli et fait échapper un aviateur anglais (en effet, cet aviateur avait séjourné dix jours chez M. Jacquet, quitté Lille le 27 mars et traversé les lignes six semaines après) ; 4° avoir fait œuvre d’espionnage. Ce dernier chef, notons-le, avait été abandonné. C’était, militairement, le plus grave, le seul qui justifiât la suprême pénalité. Les trois autres se rapportaient à des actes où l’humanité avait au moins autant de part que le patriotisme. Ils furent retenus et M. Jacquet condamné trois fois à mort et, par surcroît, à dix ans de travaux forcés. Contre ses trois coaccusés la sentence de mort était également prononcée. Il n’y avait plus d’espoir que dans le recours en grâce. Nous étions le 21 septembre. Cinq jours s’étaient écoulés depuis le procès. Ce délai ne pouvait-il être interprété comme un symptôme favorable ? C’est sur ce faible indice, suprême lueur d’espérance, que ma tragique visiteuse prit congé de moi. Elle se rendait directement à la citadelle où il lui était accordé de voir chaque jour son mari.

De bonne heure, dans l’après-midi, je me dirigeai vers l’hôtel de ville. Le maire ni les adjoints n’avaient rien appris ; ils ignoraient même que la condamnation eût eu lieu. A quelle porte frapper ? Le gouverneur ne reçoit personne ; un sous-ordre se récuserait. Je me résignai donc à faire une tentative dans les bureaux de l’administration judiciaire, établis en l’hôtel du journal la Dépêche. Je fus reçu par un jeune officier qui