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prêtes pour le cas où elles seraient à leur tour exigées. Le lendemain 21, séance orageuse à la Kommandantur. Le maire, le sous-préfet, l’évêque, avaient été convoqués. Tous trois s’élevèrent de toutes leurs forces contre la virulence qui allait être faite à de paisibles habitants. Le général von Gravenitz déclara que les ordres transmis par lui étaient formels et définitifs. L’affiche apposée la veille était la réponse aux protestations de ces messieurs (affirmation des plus hasardées, puisqu’une affiche identique se pouvait lire à Roubaix et à Tourcoing et n’était donc pas spéciale à Lille). Et comme l’évêque prenait la parole, le gouverneur lui enjoignit brusquement d’avoir à se taire, ajoutant qu’il n’ignorait pas les visées particulières de Mgr Charost. Quelles visées ? Bref, il fut manifeste que la mesure persécutrice serait impitoyablement exécutée.

Cette exécution elle-même, comment aurait-elle lieu ? Quelles en seraient les modalités ? L’incertitude ne fut pas de longue durée. Comme je me rendais à la Préfecture pour examiner l’altitude à prendre en vue de préserver le personnel placé sous mes ordres, je rencontrai mon compagnon de citadelle, le jeune et nouveau directeur du Progrès du Nord, M. Martin-Mamy. Il venait d’apprendre que des petits papiers étaient, par endroits, distribués aux familles lilloises, les informant qu’en chaque maison un officier paraîtrait, dans la nuit ou la matinée, qu’il indiquerait les personnes à prélever ; que chacun aurait dû, à l’avance, préparer son paquet d’affaires indispensables en y joignant de quoi se nourrir pendant une journée. Quiconque aurait été désigné devrait se tenir à sa porte et là attendre que l’on vînt le joindre au peloton des évacués. Ces effroyables précisions, bien vite propagées en ville, jetèrent la consternation dans toutes les demeures.

De mon entretien avec M. Anjubault il ressortait nettement pour moi que les membres du corps enseignant seraient exceptés de cette rafle monstre. Cependant, pouvais-je demeurer immobile et muet, moi le chef de la grande collectivité enseignante, à l’heure où se préparait contre l’humanité elle-même un aussi audacieux forfait ? Pas un instant je ne l’ai pensé. et voici qu’arrive à moi tout vibrant, superbe d’indignation et de colère, mon ami le docteur Lambret, professeur de chirurgie à la Faculté de Médecine. « Quoi ! Monsieur le recteur, devant cet attentat aux droits les plus sacrés, l’Université ne fera—t-elle