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pas un geste, n’aura-t-elle pas une parole de blâme et de flétrissure ? Au nom de la culture, de cette culture si souvent invoquée, n’élèverons-nous pas notre protestation ? » Cette vive apostrophe m’alla droit au cœur : elle s’harmonisait si bien avec mes sentiments, mes intimes désirs !

Quelques heures après, le Conseil était assemblé chez moi. J’avais, par avance, rédigé une lettre que j’enverrais au nom de notre Université. Et, passant par-dessus la tête du gouverneur, je l’adressais, sous forme de pétition, au Chancelier de l’Empire allemand. Je m’y plaçais au point de vue de l’éducateur et du moraliste, mes arguments devant offrir un caractère distinct de ceux qu’avaient pu faire valoir un magistrat élu, un représentant de l’Etat français, un dignitaire ecclésiastique : la lettre fut unanimement approuvée. Le 22 avril, de bonne heure, elle était remise à la Kommandantur, avec prière au Gouverneur de la faire parvenir à son adresse. Qu’elle n’ait pas été retenue à Lille, j’en ai eu la preuve. M. Guérin, revenant de sa mission en France, a fait une halte à Charleville et là, dans les bureaux de l’Etat-major général, parmi le dossier de l’évacuation, mon appel lui a été montré.

Quand cette protestation avait été écrite, nous ne connaissions encore que l’annonce du fait général de l’évacuation. Qu’eût-ce été, si nous avions prévu les formes abominables que l’attentat revêtirait ? Les soldats de la garnison n’inspirant pas assez confiance pour cette odieuse besogne, un régiment prussien, le 64e fut spécialement affecté à son exécution.

C’est dans la nuit du vendredi au samedi saint que commença la glorieuse manœuvre. Le dispositif suivant avait été adopté. Les rues du quartier choisi sont tout d’abord bloquées par des sentinelles postées à tous les croisements. Comme on est en pleines ténèbres, l’interdiction faite aux habitants de sortir garantit que personne ne quittera son chez soi. Quand, avec le jour, arrivera le moment où tombe l’interdiction coutumière, elle sera exceptionnellement reprise pour la durée de l’opération. Jusqu’à ce que soient relevées les sentinelles, il n’y aura au dehors, les soldats exceptés, pas âme qui vive. Un officier, plus souvent encore un sous-officier, accompagné d’un simple soldat, passe de maison en maison. Il sonne ou frappe au seuil et gare aux lambins ! La porte serait vite enfoncée. Le chef de famille, ou la femme, qui en tient lieu, est