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sa mère habitait cette rue, dans le voisinage du lycée Carnot, où elle accompagnait son petit-fils.

— Oui, dit Blaise « voir l’enfant. »

— Et ensuite ?

— Ensuite ?... Je ne sais pas... Mais il faut que je voie cet enfant.

La lutte intérieure continuait. J’en devinai la violence à l’accent dont il avait, lui, l’homme des décisions nettes, gémi plutôt que dit ce : « Je ne sais pas. » La voiture s’était arrêtée rue Dulong, avant que je n’eusse trouvé la parole qu’il fallait prononcer au malheureux pour le soutenir. La conversation ne reprit entre nous qu’au seuil de la maison où habitait la grand’mère de Jules. Blaise avait dû se renseigner chez plusieurs concierges, avant de savoir le numéro exact. Il fallait prendre un parti : Mme Barberon était chez elle.

— Réponds-moi, me dit-il soudain, avec une supplication impérieuse, quand nous fûmes sur le palier, et lui, la main sur le timbre de la porte : Tu es un fidèle de la mémoire de mon père. C’est en son nom que je t’adjure de me dire tout ton sentiment : en ton âme et conscience, crois-tu ces lettres d’Amédée sincères ?

— Je crois qu’elles sont sincères.

— Et vraies ? insista-t-il. Et, comme je paraissais hésiter. Oui. Il y a des comédiens sincères. Le menteur finit par croire à son mensonge, le simulateur à son imposture. Et Amédée était un tel imposteur !

— Je crois que ces lettres sont vraies, répondis-je.

— C’est cependant possible, dit-il. Puis, grave et se dominant : — C’était une phrase de mon père encore : On ne connaît jamais toutes ses fautes... Mais... Visiblement, la lutte recommençait : — Si ce garçon n’est pas le fils d’Amédée ? Oui. Ces lettres peuvent être vraies et cette femme, elle, avoir fait endosser à un amant sans volonté, pour qu’il l’épouse, l’enfant d’un autre amant... Ah ! pourquoi ne m’as-tu pas laissé brûler ces lettres ?

— Tu ne me le pardonnerais pas, lui dis-je, et la preuve, c’est que tu es là, c’est que tu vas sonner à cette porte, quand tu n’aurais qu’à t’en aller et à supposer qu’elles ont été brûlées...

— Tu as raison, interrompit-il, je dois savoir.