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L’autre personne qu’avait à voir Lambruschini était le banquier Falconet, auquel il devait réclamer cent mille francs que le Roi croyait avoir en compte. Il y avait seulement 65 790 livres tournois, faisant 14 952 ducats ; mais, par prudence, M. Agar, comte de Mosbourg, l’homme de confiance de Murat, les avait fait transférer à son nom, et, quant à une rente de 5 à 6 000 ducats (222 ou 266 000 francs), en une inscription mise sous le nom du Roi, sur l’État napolitain, elle venait d’être séquestrée par le ministre Medici.

Lambruschini avait donc échoué des deux côtés, mais il était justement pressé de rapporter au Roi ce résultat, qui pouvait prévenir un désastre. Il fit diligence, partit de Naples le 3 octobre, arriva le 5 à Rome, le 8 à Florence, le 9 à Livourne, le 12 à Bastia. Le Roi avait quitté la Corse, il était en route pour la mort.

En effet, d’autres individus avaient fourni des renseignements diamétralement opposés à ceux qu’eût apportés Lambruschini, et qui eussent peut-être modifié les intentions de Murat. Ainsi, le comte Borgia, de Rome, adjudant général au service de Naples et chambellan du Roi, avait, de Porto-Longone, adressé un rapport long et circonstancié, « où il disait entre autres choses, toutes de nature à encourager Murat dans son entreprise, que Ferdinand, loin de jouir de la considération de ses sujets, en était hautement méprisé, et que l’armée lui avait voué une haine éternelle. Il ajoutait qu’à Naples tout homme, sans aucune exception, adressait au ciel les vœux les plus ardents pour la conservation et le retour du bien-aimé Joachim. »

Faut-il penser que ce Borgia fût de bonne foi, ou qu’il se fût affidé au ministre de la Police de Naples ? Celui-ci passe pour avoir organisé le guet-apens où Murat trouva la mort, et on l’a accusé d’avoir employé pour l’y attirer nombre d’agents provocateurs. A la vérité, on ne voit pas qu’il en eût besoin ; et c’eût été seulement à régler des détails qu’ils se fussent attachés, car, dès son débarquement en France, et depuis lors presque constamment, Murat avait entretenu le projet d’une restauration. Il était prêt à accueillir toutes les combinaisons, à prendre au sérieux les renseignements les plus controuvés dès qu’ils flattaient sa manie ; l’opinion qu’il s’était faite de son génie militaire, de son prestige personnel et de sa