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Assurément, l’orgueil de Murat aurait peine à accepter de telles conditions. Et pourtant, nulle part l’Autriche ne parlait d’abdication : elle lui reconnaissait son titre royal, à la condition qu’il le voilât, et sous quel anagramme transparent : car Lipona, c’est Napoli. La liberté qui lui était accordée était bien un internement, mais dans des conditions singulièrement préférables à celles imposées aux autres Napoléonides, et, à l’user, les ménagements ne manqueraient point. Sans doute… mais Murat avait été, il s’était cru roi, et comment recevrait-il l’émissaire de Fouché et de Metternich ?…

En tout cas, il fallait se hâter ; chaque jour pouvait amener de la part de Murat, abandonné à lui-même au milieu de l’enthousiasme corse, sans un ami, sans un conseiller, sans un mentor, des résolutions désespérées, et des entreprises folles. Le premier venu pouvait trouver une prise étrange sur lui, pourvu qu’il sût lui plaire. Et, dans la conduite de ses affaires privées, comme dans sa carrière politique ou dans ses actions militaires, il avait eu constamment besoin d’un directeur de conscience ; que ce fût Caroline, ou Mosbourg, La Vauguyon ou Belliard, il ne distinguait pas trop bien quel valait quelque chose et quel ne valait rien. Certain avait influé sur ses résolutions jusqu’à assurer sa gloire militaire, d’autres jusqu’à le déshonorer : cette fois, sa vie dépendait de celui qui viendrait.

Ainsi qu’il l’avait écrit au prince de Metternich le 29 août, Macirone avait reçu pour instructions du duc d’Otrante, de partir le surlendemain. Il allègue qu’ayant appris par le Roi qu’il était dépourvu d’effets et de domestiques, il crut de son devoir de lui procurer les uns et les autres. Il acheta une grande malle avec des vêtements, du linge, des accessoires de toilette qu’il fit payer par M. de Coussy ; il engagea à l’accompagner pour retrouver leur maître en Corse, les deux valets de chambre de Murat arrivés tout juste, avec San Giuliano, du Havre à Paris[1]. Tout cela n’eût pas pris dix jours, non plus que la

  1. On lit à ce propos dans le rapport fait plus tard au ministre Decazes, où Fouché est inculpé, plus que Macirone : « Macirone lui cède (à Murat) deux de ses domestiques qui se trouvent précisément les mêmes qui lui ont été remis par le duc d’Otrante qui devinrent un des motifs de la prolongation de son séjour, et dont les noms sont postérieurement indiqués. » Plus loin, le même agent ajoute : « On a supposé avec raison que Murat en acceptant deux valets cédés par Macirone qui, voyageant sans faste, ne devait pas en avoir à céder, acceptait effectivement 200 000 francs dont on a la preuve certaine que la remise fut faîte par l’entremise d’un agent qu’on ne trouve nulle part, si ce n’est dans Macirone : on a observé avec justesse que ces deux valets qui ne se retrouvent nulle part que sous la main du duc d’Otrante, s’ils indiquent leur origine, ne font pas connaître aussi positivement leurs qualités, noms et prénoms. « Il est bizarre que l’agent n’ait point su que les valets de chambre de Murat avaient été ramenés par San Giuliano du Havre à Paris, et que c’étaient eux que Fouché avait renvoyés à leur maître. Mais le désir d’inculper Fouché n’avait point permis à l’agent de pousser ses investigations de ce côté.