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plus forte pouvait-il donner que cette vertu chrétienne est enfin entrée dans son cœur ? Avant de partir, il a pris soin que le corps du fils, tué héroïquement à l’ennemi, fût déposé enfin dans le caveau familial, à côté de la dépouille de son frère.

— Je n’ai pas voulu, m’a-t-il dit pour me convier à cette émouvante cérémonie, puisque je prends Jules, qu’il soit jamais tenté de mal juger son père.

C’est sans doute pour que le jeune homme ne fût jamais tenté non plus de mal juger sa mère qu’il l’a emmené loin de Paris, aussitôt après la mort de Mme Barberon survenue bien vite, comme l’avait annoncé sa fille. Une joie, trop vive pour une malade, l’a hâtée peut-être, celle de voir son plus cher rêve si complètement réalisé et son petit-fils sauvé. Mais la pauvre Suzy d’Or redoute trop, elle aussi, la mésestime de ce fils. Quand Blaise Marnat reviendra en France, inaugurer le monument funéraire auquel travaille amoureusement Yves Clouet, il n’aura pas à craindre que Jules entre jamais dans un music-hall pour y voir sa mère sur la scène. Suzy d’Or a définitivement quitté le café-concert. Elle a hérité de Mme Barberon une très petite fortune. Elle va épouser cet « ami » dont elle nous parlait avec cette espèce d’amoralité résignée. C’est un simple employé de ministère qui n’est plus jeune, puisqu’il n’a pas été mobilisé. Ce fonctionnaire régulier doit la reposer du terrible compagnon que fut Amédée. Elle s’est installée dans un modeste logement de la banlieue de Paris, où elle se prépare à vieillir médiocrement, presque heureusement, — et si bourgeoisement ! Mais n’ai-je pas dit encore que cette histoire n’est qu’une humble tragédie bourgeoise ?


PAUL BOURGET.