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pour composer la patrie, mais qui semble contenir tous leurs caractères en les modérant. Les eaux de l’Oise la baignent avec la grâce que met la Loire à border les jardins de Touraine. Elle a ses vergers comme la Normandie, ses plaines ondulées comme la Picardie, et, comme le Berry, ses douces collines boisées. Elle a sa petite Suisse, pareille, en ravins tourmentés et en chaînes pittoresques, à une miniature du Jura ou des Alpes. Comme les Ardennes, comme la Lorraine, elle est riche en forêts de toutes essences. Unique est même la parure de ses forêts royales, forêt de Chantilly, forêt d’Halatte, forêts de Compiègne, de l’Aigue, de Villers-Cotterets, aménagées dans leurs avenues, leurs layons, leurs clairières, pour les cortèges sans cesse brisés des chasses à courre, réserve secrète de rêve et de poésie, devenue, en avant de la capitale, le rempart mystérieux au seuil duquel l’ennemi fut contraint à s’arrêter. De tous ceux qui prirent part, dans ce tragique printemps de 1918, à la bataille de France, qui donc oubliera jamais ces coteaux sinueux, ces grasses prairies, ces eaux transparentes, ces nobles villes sur les collines, ces masses d’arbres chaque jour s’épaississant avec la poussée des feuilles, cette grâce infinie, cette harmonie tendre, ce charme civilisé, pénétrant jusqu’aux retraites sauvages, dont les plus rudes se sentaient enveloppés et comme affinés, excités aussi à mieux défendre un tel domaine ? Ceux mêmes qui ne savaient pas à quel point ces lieux exquis étaient chargés d’histoire, se préparaient, sans davantage le savoir peut-être, tant la grandeur dans cette guerre s’est confondue avec la simplicité, à les illustrer encore.

À l’appel d’un Gérard de Nerval, les petites filles d’autrefois s’évoquent à l’orée des bois, dansant l’une de ces rondes dont notre enfance a gardé la mémoire chantante. Mais quel nouveau Gérard de Nerval naîtra de nos journées d’angoisse pour ajouter au charme de ce pays délicat le frémissement guerrier qui le parcourut et lui imposa un nouveau rythme, comme le vent d’orage courbe les blés mûrissants ?

Le Plessis-de-Roye est un château des XVIe et XVIIe siècles, qui forme une masse plus grandiose qu’élégante avec son grand corps de logis aux innombrables fenêtres à croisillons, ses tours et ses toits hauts portés par de colossales charpentes, tout à fait le château que Gérard de Nerval, dans ses Odelettes, imagine sur un air Louis XIII :