Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’arrière avec un seul des nôtres... » Il cueillera d’autres prisonniers encore, bientôt aidé par un peloton de la compagnie Mestre.

Le petit corps expéditionnaire a beau être vainqueur, il se trouve dans une position très aventurée. Il a mis la main sur le village, il y fait des prisonniers qu’il envoie à l’arrière par le chemin qu’il a lui-même parcouru à l’aller et qui est sous le feu jusqu’au vallon du Pré de Vienne. Mais le parc et le château sont encore occupés, et fortement. Un retour offensif de l’ennemi est possible, et celui-ci n’a-t-il plus aucune réserve à Lassigny ? La fortune est femme : elle ne se donne guère à moitié. La victoire est bientôt complète. Le peloton Guillot du 97e s’est très audacieusement jeté sur la corne Nord-Ouest du parc et a fait tomber les résistances qui immobilisaient la 21e compagnie du 236e devant le mur Ouest. D’autres compagnies du 236e et du 97e descendant les pentes du bois de la Réserve, profitent du désarroi de l’adversaire qui a fait face à droite, franchissent le mur Sud et repoussent en une joyeuse battue les bataillons ennemis disséminés dans le parc, qui essaient vainement de se rassembler, qui tourbillonnent dans les taillis et débouchent sur les pelouses, dans la cour d’honneur, vers le château dont un peloton de la compagnie Mestre s’est déjà emparé. C’est une chasse ardente et c’est une fuite éperdue. Le gibier gris est coupé de Lassigny, coupé du bois des Noirs. Les joyeux Feldgrauen de la veille jettent leurs sacs, leurs fusils, leurs équipements pour mieux courir. Tirés au vol, ils s’arrêtent comme des cerfs forcés. Immobiles, épouvantés, ils attendent, puis ils lèvent les mains, ils poussent des cris rauques et suppliants. Et nos hommes, en riant, les rangent et les comptent. Il y en a 800, appartenant aux trois régiments de la 7e division de réserve, 66e, 36e et 72e régiments, et parmi eux 30 officiers.

L’un de ceux-ci, dans le meilleur français, tâche d’expliquer la défaite : — Le parc était un enfer dont vous étiez les diables… Marsouins et fantassins ne sont pas au bout des surprises. Dans les caves du château, ils délivrent quatre-vingt-treize prisonniers du 97e qui leur serrent les mains, les embrassent, étonnés d’une si rapide délivrance après la formidable invasion qu’ils ont tenté, le matin, de barrer. Le corps du colonel Tissier est retrouvé dans un taillis : il sera enseveli avec les honneurs militaires. Il faudra des jours et des jours pour enterrer tous