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montre dans son carnet si arrogant et pour nous si méprisant ? Et le pillard de Noyon qui appartenait à la 3e compagnie du 36e régiment ? Le pillard de Noyon a beaucoup parlé :

— Lorsque nous fûmes engagés, a-t-il dit, nos officiers sont partis en avant tête baissée et nous les avons suivis, ce qui explique les grosses pertes parmi les officiers. Mais il s’est passé bien d’autres choses que je n’aurais pas crues possibles. Des officiers gisaient blessés dans le parc. Ils disaient aux hommes qui passaient : « Camarades, au secours ! Emportez-nous. » Les hommes répondaient : « .Maintenant vous nous appelez camarades et quand nous étions au repos vous ne faisiez même pas attention à nous. Vous nous traitiez plus bas que terre, et pire que du bétail. Cherchez de l’aide où vous voudrez, n’en attendez pas de nous ! » Et les hommes passèrent sans s’occuper des officiers. A six heures du soir (le 30 mars), quand nous apprîmes dans le parc que nous étions entourés, quelques officiers essayèrent de nous persuader que nous devrions tenter une sortie, que ce serait une bagatelle, pour un si grand nombre d’hommes, de briser l’anneau qui nous encerclait. Mais il leur fut répondu : « Nous ne tirerons plus un seul coup de fusil, nous sommes contents que la guerre soit finie pour nous. »

Ainsi auraient répondu ces hommes qui la veille se promettaient de dévaster et piller la France. Quant au lieutenant W., c’est lui qui proclama avec une fureur d’admiration :

— Ces chiens de Français retombent toujours sur leurs pattes.

Après la visite du village que reconstruiront une fois encore, non plus en planches, mais en pierre, et pour des siècles, les Lobert et les Lepère, les Dubois, les Carpentier, les Garin et l’ancien maire Louis Lefèvre, et le vieil Hénot lui-même confiant dans l’avenir, nous rentrons dans le parc. Dans un coin, des arbres mutilés abritent quelques tombes. Ce sont des nôtres, du 97e. Des vers d’un poète de chez nous, dont les fils sont au combat, me reviennent à la mémoire :


Chère Savoyards, couchés sous cette vieille terre
Reconquise par vous à notre vieux drapeau,
Héros que j’ai connus, sur l’Alpe solitaire,
Pacifiques gardiens de paisibles troupeaux...
Que les monts orgueilleux d’où jaillissent nos Dranses,