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se replie, se contracte et s’enferme dans une bouteille. Maintenant, délivré de la gêne, et comme s’il n’avait eu qu’à commander pour en sortir, il se carre, il s’étale, il satisfait toutes se » fantaisies ; sur de sa force, il sait qu’il recommencera, quand et comme il voudra, le miracle qui l’a tiré de peine, et son prestige, sa vogue sont si réels que tous ses caprices plaisent, que nul ne songe à critiquer.

Il n’a besoin de personne et ne veut obéir qu’à sa fantaisie : un matin de juillet, il va partir pour Alger ; ses malles sont prêtes, sa chaise de poste est commandée ; mais la fusillade éclate.— Qu’est-ce ? — La révolution, il ne part plus et le voilà insurgé, faisant le coup de feu contre la garde royale, élevant des barricades et marchant à l’assaut du Louvre avec une troupe de pauvres diables armés de » hallebardes historiques et des pertuisanes vénérables, du Musée d’artillerie. En trois jours, la vieille monarchie est à bas ; c’est bien court, et Dumas prolonge le plaisir en allant prendre, lui tout seul, Soissons, place forte de première classe. Le duc d’Orléans, son ex-patron, est devenu roi : il fait des avances à l’ancien expéditionnaire dont l’importance maintenant est grande. Tout autre profiterait de l’aubaine ou chercherait à se pousser : c’est le moment que choisit Dumas pour tourner le dos au soleil levant. Qu’a-t-il besoin de protecteurs ? N’est-il pas investi lui-même d’une sorte de royauté, moins éphémère et mieux assise que celle de l’hôte des Tuileries ?

On le voit le jour où Louis-Philippe ayant donné un bal, l’auteur de Henri III imagine de faire concurrence au pouvoir nouveau et d’offrir, lui aussi, une fête costumée à ses courtisans : Paris pourra constater que, lorsqu’un artiste daigne recevoir, il fait les choses mieux qu’un souverain. Ah ! cette fête légendaire ! Depuis l’hiver de 1832, elle n’est pas oubliée et excite encore la curiosité des chroniqueurs, malgré quatre-vingt-sept ans écoulés. Dumas habite alors une maison neuve du square d’Orléans, rue Saint Lazare ; en plus de son appartement, il dispose d’un autre local, vacant, dont la porte ouvre sur son palier. Comment orner ces pièces-inhabitées ? Un mot, et les peintres de bonne volonté accourent : ce sont Eugène Delacroix, Louis et Clément Boulanger, Alfred et Tony Johannot, Decamps, Granville, Jadin, Nanteuil, Barye, Ziegler et Ciceri. Quel Louvre, sur l’ordre de quel monarque, a jamais réuni pareille équipe