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de décorateurs ? Il faut songer au souper : un mot encore, et l’Administration des domaines met à la disposition du magicien une forêt royale : un jour de cliHSse.et le voilà rapportant trois lièvres et neuf chevreuils, dont deux tués d’un même coup du fusil. Chevet, appelé à comparaître, se présente sans tarder ; on procède avec lui par voie d’échange : il fournira un saumon de cinquante livres, un esturgeon d’égal poids, une galantine monstre ; les trois lièvres seront mis en pâté et deux des chevreuils apparaîtront rôtis tout entiers, dressés sur un plat d’argent (emprunté au dressoir de Gargantua. Au buffet trois cents bouteilles de vin de Bordeaux, trois cents bouteilles de vin de Bourgogne et cinq cents bouteilles de vin de Champagne.

Au jour dit, les salons sont prêts à s’ouvrir ; les murs sont couverts, des plinthes aux corniches, de fresques romantiques : un Cinq-Mars de Johannot, une Lucrèce Borgia de Boulanger, une Esméralda de Zingler, un Roi Rodrigue de Delacroix… Ciceri, auréolé de la gloire du cloître de Robert le Diable, le plus beau des décors qu’aient équipés les machinistes de l’Opéra, Ciceri a peint les plafonds. Les invités peuvent venir ; ils viennent en foule et jamais nulle cour ne se composa d’une assistance pareille : toute la Comédie Française dans les costumes de Henri III ; les plus jolies, les plus célèbres artistes : Mars, Levert, George, Noblet, Léontine Fay, Falcon, Déjazet ; les plus fameux comédiens : Firmin, Michelot, Nourrit, Monrose, Frédérick-Lemaitre ; les plus illustres écrivains et les plus glands artistes : Alfred de Musset, en paillasse ; Eugène Sue, en domino pistache ; Roqueplan, en officier mexicain ; Etex, Adam, Considérant, Buloz, Véron, Odilon Barrot ; Rossini s’est déguisé en Barbier de Séville ; le vieux général La Fayette, le héros des deux mondes, a adopté le costume d’un seigneur vénitien… À neuf heures du matin on danse encore ; on sort dans la rue, orchestre en tête ; et la fête se termine par un dernier galop qui ne se disperse qu’au boulevard. — Louis-Philippe, on le pense, n’essaya même pas de rivaliser. Comment lutter, dans son auberge des Tuileries, avec son humble cour de ministres, de députés et de fonctionnaires, contre cette joyeuse bousculade de jeunes renommées et de grands talents, entassée par plaisir dans le taudis d’un poète ?

Une telle réussite suffirait à satisfaire la gloriole de tout