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autre : pour Dumas, simple amusement. La porte fermée sur son dernier invité, il est au travail ; en quelques jours il échafaude un scénario ; en douze heures il écrit un acte ; en deux semaines il achève une pièce : c’est ainsi qu’il a composé Antony, Richard Darlington, La Tour de Nesle, terribles coups assenés, en se jouant, par cet Hercule souriant, aux classiques éperdus. La foule s’écrase aux théâtres où l’on joue ses pièces, et cherche à découvrir dans quelque loge sa silhouette déjà populaire… Il est à Berne, au Si m pion, à Constance, d’où il rapportera une nouvelle œuvre : Impressions de voyage en Suisse, — sujet bien usé : les éditeurs, à l’énoncé du titre, ont fait la grimace ; c’est qu’ils ne connaissent pas encore les étonnantes volte-face de l’esprit de Dumas et le sortilège de son imagination. Rien qu’à narrer ses rencontres d’auberge, il enchante ; et là où tant de touristes sont passés sans voir autre chose que ce qu’indiquent les guides, il découvre des forêts de légendes et cueille un roman à tous les tournants du chemin. Ce trésor de verve qu’il porte en lui, comment les autres en auraient-ils eu idée, puisqu’il en ignorait lui-même l’existence ? Il a peu pris la peine de s’étudier et il croit ne posséder que le don de faire frémir, le goût du sombre et du terrible. D’ailleurs, à cette époque de ferveur romantique, la seule gaieté permise était la satanique, celle de Méphistophélès ou de Manfred : « Gœthe et Byron, dira Dumas, étaient les deux grands rieurs du siècle ! » Et il avait mis, comme tous ses contemporains, un masque à son inspiration. Ce masque tombe à la première publication des Impressions de voyage, et c’est dans le public un ravissement.

Dumas fait, vers la même époque, une autre découverte : celle de l’histoire de France dont il ne connaît que l’épisode de Henri III. Le hasard d’une heure d’oisiveté lui a permis de feuilleter l’Histoire des Ducs île Bourgogne : il tombe sur le chapitre où sont contés des démêlés d’Isabelle de Bavière avec Jean Sans Peur, ne trouve pas cela ennuyeux, et le voilà occupé à découper en scènes et à dialoguer, par exercice de dramaturge, le récit de Barante. La Revue des Deux Mondes, récemment née, publie la chose avec grand succès, et Dumas a pris tant de plaisir à vivre dans ce passé pittoresque, qu’il décide d’entreprendre une suite de romans comprenant toutes nos Annales, depuis les temps druidiques jusqu’au roi-citoyen. Seulement un