Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/666

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Un demi-siècle durant, disait-il, l’Europe n’a juré que par lui ; les deux Amériques envoyaient quérir ses romans par flottilles de paquebots ; on a joué ses drames en Egypte pour charmer la vieillesse de Mehemed-Ali, le grand pacha ; on a lu ses écrits à Chandernagor et à Tobolsk… Il a laissé bien loin derrière lui la famosité du patriarche de Ferney ; de sa main il a noirci des montagnes de papier ; il a fait représenter cent pièces de théâtre et publié mille volumes… Il s’est fait soldat afin de prendre part à la guerre des rues ; il a commandé une légion, tenu tête à vingt duels, soutenu autant de procès, frété des navires, distribué des pensions sur sa cassette ; il a dansé, chassé, aimé, péché, magnétisé, fait la cuisine, gagné dix millions, dépensé bien davantage… » Et telle fut, à grands traits esquissée, la vie de celui dont, à vingt ans, les plus hautes ambitions n’allaient pas jusqu’à désirer une place de commis chez un buraliste de son chef-lieu de canton et qui devint, par le seul essor de son esprit et de sa prodigue vitalité, « l’une des plus grandes curiosités de son temps. »


Écrire la biographie de Dumas sera toujours besogne aussi décevante que celle qui consisterait à dépeindre les phases miroitantes d’un kaléidoscope en mouvement. Pourtant il y a dans cette existence quelques épisodes auxquels on aimerait à s’attarder parce qu’ils sont particulièrement caractéristiques et qu’ils ont pris, dans la chronique littéraire du XIXe siècle, une apparence de légende. Tel, par exemple, le séjour au château de Monte-Cristo.

Le récit des aventures du Comte de Monte-Cristo, — dix-huit volumes d’après Quérard, — avait été publié en 1844-1845 chez l’éditeur Pétion. Jamais œuvre d’imagination ne suscita curiosité aussi violente, jamais pages ne furent tournées par des milliers et des milliers de mains frémissantes avec plus de fièvre et d’émotion. L’histoire d’Edmond Dantès et l’art captivant avec lequel elle est contée, justifiaient cette admiration ; elle touche, par endroits, a l’épopée et atteint quelquefois au grandiose : ce pauvre marin amoureux et jalousé, séparé de sa fiancée par un impitoyable hasard, mêlé, sans qu’il s’en doute, à un ténébreux complot politique et astreint, par la doucereuse