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banderole de l’une, on lit : Au vent la flamme ! et dans l’antre : Au seigneur l’âme ! En guirlande, formant frise, sont alignés les bustes des écrivains dramatiques de tous les temps, et les statues de la façade sont signées Moine, Préault et Pradier. Le jardin est petit mais pittoresque : un ruisselet y forme des cascades et encercle une île, — l’île symbolique de Monte-Cristo ; — là est le pavillon de travail, sorte de chalet à haute toiture, dont chaque pierre porte gravé le titre de l’une des œuvres du seigneur du lieu. »

Au vrai, Monte-Cristo, qui existe encore, n’est pas un palais ; mais une jolie villa portant bien sa date ; sa silhouette maniérée évoque le souvenir de ces frontispices du style troubadour que dessinait Tony Johannot pour les publications romantiques.

Alexandre Dumas dut s’installer là en l’automne de 1847 : le jardin n’était pas bien ombreux et les ouvriers travaillaient encore à l’achèvement de la maison. Mais, avant d’être terminée, elle est pleine ; les visiteurs y affluent. Nous disons les visiteurs, et non les invités, car tout passant est le bienvenu : pour peu qu’il reste une place à table, point besoin de compter parmi les innombrables intimes du propriétaire pour diner ; et si une chambre est libre, on couche ; telle est l’étiquette de l’endroit : un peu bohème, mais très gai.

Les domestiques sont nombreux ; par suite, les attributions de chacun d’eux demeurent à ce point limitées que, si l’on excepte Mme Lamarque, la cuisinière, ces heureux serviteurs vivent dans l’inaction.

Sur ce bataillon de fainéants règne le pauvre petit monsieur Rasconi, ainsi que s’intitule lui-même le maître d’hôtel, ou, pour mieux dire, le majordome. C’est un Italien, né à Mantoue, comme Virgile ; il fut successivement architecte, officier, commissaire de police à l’île d’Elbe au temps de l’Empereur, secrétaire du général Dermoncourt, à Nantes, à l’époque de l’arrestation de la Duchesse de Berry, et a occupé bien d’autres emplois encore. En sous-ordre, voici Michel, un paysan illettré des environs de Saint-Germain, médiocre jardinier, mais braconnier émérite ; il plaît par là au maître qui lui accorde toute sa confiance et l’élève aux fonctions délicates de valet de chambre. Il y a en outre un nègre, Alexis, oublié là un jour par Mme Dorval ; il y a aussi un Turc qui passe son temps à