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percer, au moyen d’un clou et d’un marteau, d’innombrables petits trous dans les murs et dans le plafond du salon ; de la savante disposition de ces trous vus sous un certain angle, résulte un surprenant effet décoratif assez semblable à celui de quelque moire fantastique. Dumas a trouvé à Tunis ce Turc occupé à orner d’une décoration de ce genre le tombeau du souverain régnant : il a demandé au Bey de lui céder pour quelques années cet artiste patient, faisant valoir que, plus le tombeau tarderait à être parachevé, plus Sa Hautesse pourrait, sans scrupule, continuer à faire le bonheur de ses sujets. Frappé de cet argument, le Bay a livré son homme qui poursuit depuis lors son œuvre à Monte-Cristo, silencieux et bien nourri. Il y a un valet pour la volière, un autre pour le chenil, un troisième pour les singes ; car les bêtes abondent à Monte-Cristo : c’est, d’abord, le chat Mysouff, un enfant perdu recueilli par Mme Lamarque et qui ne quitte pas les divans du salon : on l’a nommé ainsi en souvenir d’un autre Mysouff qui fut, au temps de misère, dans le galetas du faubourg Saint-Denis, le fidèle compagnon de Mme Dumas ; — c’est Pritchard, un chien de génie que Dumas a reçu du prince Louis, un jour qu’il était allé rendre visite dans sa prison au futur Napoléon III alors interné au château de Ham ; — ce sont deux perroquets, Duval et Papa Evrard ; — c’est un coq, César ; — un faisan doré, Lucullus ; — un vautour, enfin, Jugurtha, rapporté d’Algérie et qui trône sur un perchoir d’ébène auquel rattache une chaîne d’argent.

Dès l’aube, le châtelain de ce Ferney pour rire est dans son île ; il travaille, alors que toute la maisonnée, bêtes et gens, repose encore : il travaillera ainsi tout le jour, laissant à Rusconi et à Michel le soin de recevoir les gens qui viennent, — et il en vient ! — à l’exception des seuls huissiers, impitoyablement éconduits. Le soir seulement, le maître sort de son pavillon vers l’heure du dîner : il passe la revue de ses convives de hasard et quoiqu’il ne puisse « mettre un nom sur toutes les figures, » il accueille ces parasites comme de vieilles connaissances. Pour être venus là sans être priés, ne faut-il pas qu’ils aient envie ou besoin d’un bon repas ? Il s’informe du menu : Mme Lamarque est au désespoir : il n’y a rien : elle comptait sur une carpe que le pêcheur n’a pas apportée, sur un quartier de viande que Pritchard a englouti, et les