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d’après ; mis en goût, on le revit tous les autres dimanches de la saison : chaque fois il dinait, on le promenait en voiture, et il recevait un louis « pour son chemin de fer. » À la fin de l’automne, il avait encaissé 600 francs… et Dumas lui devait toujours les 250 francs du compte arriéré.

Michel lui-même s’effrayait, par crises, de ce désordre ; mais le moyen d’enrayer ce train fou ? On conte que, certain matin, le scrupuleux garçon envoya à son maître qui s’attardait à Paris et n’avait pas reparu depuis quelques jours à Monte-Cristo, un exprès porteur d’un avis ainsi rédigé par Mme Lamarque : « Je dois dire à Monsieur que le vin d’office est épuisé ; les gens de Monsieur n’ont plus rien à boire ; il ne reste en cave que le Champagne et le Johannisberg envoyé à Monsieur par le prince de Metternich. » Le soir, l’exprès rentrait avec cette réponse : « Buvez le Champagne et le Johannisberg ; ça vous changerai »

Si l’on ajoute que Pritchard, — dont le nom devra l’immortalité à l’Histoire de mes bêtes, — grisé par le spectacle de cette magnificence, allait par la campagne recruter tous les chiens errants et affamés du pays, leur vantait l’hospitalité de la maison et les y attirait par l’appât d’homériques lippées ; que bientôt Dumas se trouva de la sorte possesseur d’une « meute » composée de deux caniches, d’un king-charles, d’un basset, d’un terrier, d’un boule-dogue, de deux barbets et de cinq levrettes, en tout treize bêtes formant la cour de Pritchard et dont un valet, empressé à cuisiner tout le jour, ne suffisait pas à satisfaire la voracité, on comprendra, sans qu’il soit utile de pousser le tableau, que la féerie devait avoir un dénouement rapide et que le mot de la fin était réservé aux recors.

Il fallut cependant qu’une révolution s’en mêlât, tant était bien assis, malgré de si folles dissipations, le crédit du roi des romanciers. Après 1848 et la débâcle du Théâtre historique que Dumas avait construit de son argent et où jouaient ses pièces, dans de somptueux décors, des artistes engagés à des conditions ruineuses, Monte-Cristo fut mis en vente. Les huissiers, pour qui la porte, naguère, ne s’ouvrait jamais, y pénétrèrent en maîtres. Celui qui instrumentait pour le compte du Pavillon Henri IV d’où étaient venues en poste tant de dindes et tant de langoustes et tant de truffes, ne trouva là que le pauvre petit monsieur Rasconi resté seul dans le château abandonné. Il