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n’y avait déjà plus rien à saisir. Seul Jugurtha, le vautour, demeurait renfrogné sur son perchoir ; une cordelette remplaçait la chaîne d’argent.

« Pourquoi ne le prendrais-je pas ? » dit l’officier ministériel.

Il tira son écritoire, traça ce reçu authentique : Versé en compte par M. Alexandre Dumas un vautour estimé 15 francs, et emporta l’oiseau, lequel vivait encore, il y a peu d’années, — il vit peut-être toujours, — dans une cour de l’hôtel, à Saint-Germain, sombre, concentré, farouche, déplumé, dédaigneux des mesquineries ambiantes comparées aux splendeurs passées dont il semblait rêver sans cesse. Dumas se consola plus vite que Jugurtha : peu de temps après le désastre, il recevait à déjeuner Fiorentino et, au dessert, il lui présenta une assiette au fond de laquelle roulaient deux petites prunes ratatinées et à peine mûres.

« Prends une de ces prunes et mange-la. »

Fiorentino s’exécuta, malgré l’aspect peu engageant du fruit : Dumas le regardait en souriant. Après un instant, il reprit :

— C’est cent mille francs que tu viens de manger là.

— Cent mille francs !

— Ces deux petites prunes étaient tout ce qui me restait de Monte-Cristo, — et Monte-Cristo m’a coûté deux cent mille francs.


L’autre épisode auquel il convient de s’arrêter quelque peu est la création du journal Le Mousquetaire. Ici nous avons pour guides Aurélien Scholl, Charles Monselet, Villemessant, la comtesse Dash, et surtout Philibert Audebrand qui a consacré à Dumas journaliste un volume d’attachants souvenirs.

On a vu que, après le coup d’État de 1851, Dumas se fixa en Belgique : ce n’était point la politique qui l’exilait, encore qu’il fraternisât volontiers avec les proscrits ; il fuyait simplement ses créanciers, s’en remettant à son homme de confiance, Hirschler, de leur partager les dépouilles du Théâtre historique et de Monte-Cristo. Ayant obtenu un concordat fort honorable, il rentrait à Paris après deux ans d’absence, délivré du souci de la fortune et ne possédant plus qu’un peu de linge