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esprit de spéculation excessif ; mais l’Etat a fait un bien décevant calcul, s’il s’est imaginé se lancer dans une bonne opération financière en exploitant le tonnage à la place des compagnies. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il s’est immédiatement privé des 80 p. 100 qu’il prélevait sur les bénéfices de l’armement, et je crains bien que, comme le savetier de la fable, il n’ait tué « la poule aux œufs d’or. »

La réquisition générale de la flotte « devait amener une baisse dans le prix de la vie. » Ce serait aujourd’hui une ironie que de le soutenir. Bien plus : avant le 18 février 1918, nous avions du chocolat, du café, du tabac. Actuellement, tout nous manque. On nous a rebattu les oreilles en nous disant qu’il fallait avant tout transporter des munitions, ce qui était inconciliable avec l’importation d’autres articles. D’abord, cette affirmation est inexacte. Le chargement de l’acier au fond des soutes laissait libre un espace pour y loger des balles de tabac ou des caisses de cacao. Puis enfin, l’armistice est signé depuis le 11 novembre et nous manquons toujours d’une foule d’articles qui s’entassent sur les quais des pays de production.

Si encore le compte spécial de la réquisition devait se solder par un profit appréciable ! Dans l’océan de nos dépenses de guerre, ce serait un adoucissement à nos peines que de le penser. Mais gardons-nous de cette illusion. Ce compte, a-t-on dit, ne présente nullement les garanties de sincérité d’un bilans : D’abord, il n’enregistrera pas toutes les répercussions des erreurs ou des fautes de la direction ; ensuite, il ne peut prévoir des réserves pour éventualités, notamment pour la liquidation des contestations judiciaires sans nombre qui vont naître infailliblement de la réquisition. Ne serait-ce que pour le règlement des manquants et avaries de matériel constatés en cours de transport : nous ne sommes pas près de voir la fin de ce règlement. Nous nous trouvons, en effet, en présence d’un redoutable inconnu. J’attendrai pour me prononcer sur les résultats financiers de la réquisition, la liquidation du compte spécial, mais je crains d’attendre longtemps. L’Etat, qui avait dû assumer durant la guerre des charges financières fort lourdes, pouvait se dispenser de supporter celle-là. La réquisition générale de la flotte apparaît donc simplement comme un essai d’étatisme tenté à la faveur de la guerre.