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son 9e corps de réserve. Mais Lassigny ne peut être gardé les jours suivants. Nous restons aux abords, devant le village du Plessis-de-Roye. La bataille s’étend au Nord, dans la direction de Roye, puis de Péronne, de Bapaume et d’Arras. On se bat furieusement devant Arras, et les deux armées qui veulent se dépasser remontent sur la Lys, sur l’Yser, dans les Flandres. La mer est atteinte, et la ligne se stabilisera en novembre, après le formidable choc des Flandres, de la mer à la frontière suisse. Il ne restera plus aux deux armées qu’à se heurter front contre front.

C’est la 4e brigade marocaine (7e tirailleurs et 1er régiment colonial) qui était rentrée dans Lassigny et qui, insuffisamment appuyée, ou faute de forces plus nécessaires ailleurs, avait dû abandonner sa conquête. Qu’étaient devenus les habitants du Plessis ? Leurs maisons étaient incendiées, leurs récoltes dispersées, leur belle église s’effritait, et le château encaissait presque chaque jour sa ration de projectiles. Quelques-uns entassèrent des bardes et des provisions sur des charrettes ou des chariots, et, de nuit, s’en allèrent à l’aventure, le plus près possible afin d’être à portée du retour. Ressons-sur-Matz, Marquéglise, Elincourt-Sainte-Marguerite en abritèrent. Mais la plupart voulurent demeurer sur place ; le vieux Louis Lefèvre, en sa qualité d’ancien maire, donnait l’exemple, avec Hénot, plus âgé que lui, et Alépée, le secrétaire de mairie. On s’était réfugié dans les caves où l’on avait transporté meubles et matelas. Le Français tient à la dernière pierre de sa maison comme à la dernière pièce de son vêtement : il ne peut se résigner à lui dire adieu et il déploie autant d’astuce et de courage pour rester chez lui, qu’une troupe en armes pour défendre une citadelle.

Cependant la situation devenait intolérable : un second triage se fit, mais cette fois peu à peu, un jour l’un, un jour l’autre, cette femme-ci à cause de ses vieux, celle-là pour ses enfants. Le 15 novembre (1914), il y avait encore un petit noyau d’habitants. Quand le colonel du 101e régiment d’infanterie donna l’ordre d’évacuation, Hénot, Lefèvre et Alépée se firent tirer l’oreille. Tout ce monde se réfugia dans les villages voisins, et travailla pour autrui tout en guettant ses terres. Seule, Mme du Pontavice, en raison des qualités de son mari, officier et maire, obtenait un précaire droit de