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REVUE LITTÉRAIRE

L’AFFAIRE SHAKSPEARE [1]

Les érudits sont, le plus souvent, des gens discrets, secrets, et qui trouvent de jolies choses, peu importantes. Ils s’amusent beaucoup, dans une solitude et un silence agréable. On leur reproche de ne pas appeler grand monde à leurs plaisirs. C’est un reproche que ne mérite pas du tout M. Abel Lefranc. Dès qu’il eut découvert que le théâtre de Shakspeare n’était pas de Shakspeare, mais de William Stanley, sixième comte de Derby, on l’a su : tambours et trompettes l’ont annoncé. Puis il a publié ses deux volumes, qui sont extrêmement pétulants et criards, les deux volumes de sa découverte.

M. Lefranc s’est figuré que la suppression de Shakspeare et son vif (remplacement par le sixième comte de Derby, travail énergique de M. Lefranc, consacrait la victoire de nos alliés anglais et la nôtre. « J’écris cette dernière page, — dit-il en son avant-propos, — le jour même où s’affirme la Victoire du Droit et de l’éternelle Justice qui va commencer une ère nouvelle pour l’humanité, victoire dont notre patrie bien-aimée et ses admirables Alliés recueilleront une gloire impérissable. Le sang de nos héroïques enfants n’aura pas coulé en vain... » Il croit, et ne le cache pas, que ses « pages pourront servir à attester, — par les résultats qu’elles apportent, — la fraternité d’âmes de deux grands peuples, — unis à jamais, — pour leurs glorieuses et communes destinées, » ‘etc. Pourquoi ? C’est qu’avant d’écrire le théâtre de Shakspeare William Stanley a voyagé dans notre pays ; en

  1. Sous le masque de « William Shakspeare, » William Stanley, VIe comte de Derby, 2 volumes (librairie Payot). Cf. Shakspeare, sa vie et son œuvre, par Sir Sidney Lee, édition français par Firmin Roz (même librairie).