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outre, un de ses descendants est ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris. Les personnes qui se réjouissaient de la victoire et applaudissaient à l’amitié Franco-anglaise, tout en croyant que Shakspeare était l’auteur de son théâtre, seraient un peu étonnées de l’ardeur et de l’exubérance que montre le savant professeur : elles sont averties maintenant. Du reste, M. Lefranc les méprise, ou les mépriserait, si elles continuaient de fermer les yeux à la lumière d’une vérité qui l’éblouit. Et l’on remarquera que l’éblouissement n’est pas une excellente condition pour voir et clair et juste. Ébloui, l’inventeur de William Stanley ne distingue, entre les partisans de William Shakspeare, que des ignorants ou des fols, tout dépourvus de bonne foi ou de bon sens. Mais il s’adresse, avec une assurance, gaie, à tous lecteurs « dont le jugement n’est pas obscurci par une foi qui ne connaît ni les nuances ni le raisonnement. » Il résume l’opinion d’autrui ; et il ajoute : « Il me semble impossible que quiconque professe les règles élémentaires du raisonnement puisse admettre de pareilles assertions. » Ou encore : « C’est une simple absurdité. » Il s’abandonne, d’une façon naïve et attrayante, à la satisfaction de soutenir une opinion d’avant-garde ; et il flétrit la « science patentée. » Cependant, il affiche sur la couverture de son ouvrage sa patente de professeur au Collège de France ; et, après avoir dit que Molière avait une belle écriture, il met en note ! « Il est peut-être utile de faire remarquer que nous avons étudié Molière pendant quatre années au Collège de France. « Fort d’une telle recommandation, tout ce qu’il écrit et qui n’est pas toujours évident, il l’affirme, il le jure. On lui voudrait un peu d’incertitude, quelquefois. Il n’en a aucune ; et il ne tolère pas la vôtre. Il vous malmène et il vous tarabuste. Pourtant le doute est scientifique, à certains égards.

Il y a bien du peut-être, dans son discours. Il dit que William Stanley « put » voisiner avec le poète Spenser, et fréquenta « probablement « la cour d’assez bonne heure, et qu’il eut « peut-être » un secret dans sa vie, et que sa curiosité d’esprit « dut » se déployer de tous côtés, et qu’il « put » se trouver en relations avec tel personnage qui eut un rôle considérable dans la littérature dramatique de l’époque, etc. : autant de faits qui servent à la démonstration. Mais toutes ces possibilités aboutissent à une conclusion catégorique. Bref, le peut-être est dans les faits : on le voudrait dans la conclusion. Les faits auraient, sans nul inconvénient, plus de rigueur.

Voici l’argumentation, les thèses de M. Lefranc. D’abord, les œuvres qu’on attribue à Shakspeare « ne peuvent en aucune manière »