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être de lui. Ensuite, l’auteur de ces œuvres était « selon toute évidence » un membre de l’aristocratie anglaise, lequel a voulu rester caché. Enfin, ce membre de l’aristocratie anglaise s’appelait William Stanley, sixième comte de Derby, né en 1561, mort en 1642.

Pourquoi Shakspeare ne peut-il pas avoir écrit les œuvres dites de Shakspeare ? Mais parce que c’était, ce Shakspeare, un ignorant, un homme grossier, fils d’un boucher, boucher lui-même et puis valet d’acteurs. On répondrait à M. Lefranc : non, ce Shakespeare n’était pas un ignorant, et si grossier, puisqu’il a composé ce théâtre fameux et beau. Pareillement, certains critiques autrefois démontraient que le vieil Homère n’avait pas écrit l’Iliade et l’Odyssée, pour la raison qu’à son époque l’écriture n’existait pas. On leur répondit : mais si, l’écriture existait, puisque Homère a écrit l’Iliade et l’Odyssée. Et c’est la vérité, l’indiscutable vérité.

Pour nier si gaillardement que Shakspeare ait pu écrire son théâtre, il faudrait connaître à merveille cet homme, sa vie et son personnage. On ne connaît pas à merveille, et même on ne connaît que très peu, cet homme, sa vie et son personnage. M. Lefranc, tout comme un autre, est bien forcé de l’avouer. Il écrit : « ... Shakspeare, dont la vie morale et intellectuelle nous échappe totalement. Depuis les années de son enfance et de sa jeunesse jusqu’à son énigmatique retraite à Stratford, cet aspect de son existence... » autant dire, son existence... « ne présente en effet qu’un mystère absolu. Nous ne connaissons, de sa carrière, que certains faits matériels, tous vulgaires et souvent peu favorables... » Eh ! bien, alors, ne dites pas, si vous ne le connaissez pas, qu’il était incapable d’écrire son théâtre. Les renseignements que vous avez ne suffiraient pas à lui faire attribuer son théâtre, si l’on ne savait pas que son théâtre fût de lui, comme on le sait par le témoignage de ses contemporains ; mais ils ne suffisent pas à démontrer que son théâtre n’est pas de lui, quand il a signé son théâtre, sans que nul de ses contemporains l’ait accusé d’imposture. Les renseignements sont nuls, vous le dites vous-même.

Car vous le dites, et vous le répétez. Sur la jeunesse et l’éducation de Shakspeare, « il n’existe pas un mot, pas le plus petit texte... Aucun renseignement avant celui que fournit Rowe, qui est postérieur de près de cent ans à la mort du poète... Sur toute la formation de Shakspeare, pas un seul indice, pas la plus mince conjecture plausible. » Mais alors, qu’est-ce que vous nous racontez ?... L’ignorance où l’on est, touchant la vie et le personnage de Shakspeare, M. Lefranc l’utilise pour se railler des critiques de l’autre bord, crédules