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à Shakspeare et qui, avec si peu de documents, vous composent des vies de Shakspeare et l’étude de sa pensée : notons qu’attribuant à ce poète l’œuvre que M. Lefranc lui refuse, ils trouvent dans cette œuvre ce dont ils ont besoin. Supprimant l’œuvre, lui, M. Lefranc, n’a plus que ces pauvres petits documents qui font pitié. Et le voilà bien dépourvu ? Pas du tout ! Voyez-le. Nous ne savions quasi rien de Shakspeare : conséquemment, toutes les hypothèses sont permises. Par exemple, M. Lefranc souhaite d’affirmer que la famille de Derby « fut mêlée, et de près, aux productions sorties de la plume de Shakspeare, » ou attribuées à « l’homme de Stratford. » Prouvez-le donc : « C’est là une affirmation absolument légitime et qui, pour n’avoir jamais été formulée, n’en a pas moins pour elle toutes les vraisemblances, surtout en présence de ce fait que nous ne possédons pas le plus petit indice sur les circonstances dans lesquelles Shakspeare commença à écrire. » On dit que Shakspeare a mené la vie d’un acteur ambulant : « S’il a mené la vie d’acteur ambulant, mouvementée et continue qu’on nous représente, avec ses déplacements perpétuels, il n’a pu composer le théâtre si vaste qui lui est attribué. » N’est-ce pas ? Et M. Lefranc vient d’écrire : « Sa vie de comédien nous demeure à peu près entièrement inconnue. » Alors ne cherchez pas un argument, ne cherchez rien, dans ce qui vous est à peu près entièrement inconnu : vous n’y trouverez rien ; vous n’y trouverez que votre affirmation, mais une fois que vous l’y aurez mise. Quelquefois, M. Lefranc ne se rappelle pas que l’on ignore la vie et le ‘personnage du « Stratfordien ; » et, après avoir dit tout ce que l’œuvre de Shakspeare lui révèle, il ajoute : « Rien de tout cela ne concorde avec la personnalité, ni avec le caractère de Shakspeare, tels que les données ‘biographiques permettent de les concevoir. « Il y a, dans l’œuvre dite de Shakspeare, une série de drames historiques. Or, si l’on emprunte à l’histoire des sujets dramatiques, c’est que l’on aime le passé, remarque M. Lefranc. Shakspeare, aimer le passé ; Shakspeare ? Vous n’y songez pas ! « Rien ne nous fait apercevoir chez lui, ni ses antécédents, ni son éducation, ni ses relations, ni ses occupations, une curiosité de ce genre ; rien ne la fait entrevoir... » Mais si : son théâtre ? Son théâtre n’est pas de lui !... « La plus simple réflexion psychologique nous incite, au contraire, à discerner un contraste profond entre tous les faits connus de sa vie et cette contemplation passionnée et clairvoyante du passé de l’Angleterre. » Eh ! vous le connaissez donc, l’ « homme de Stratford ? »