Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

débarque à Compiègne et l’on dépose le précieux fardeau chez le baron de Barante, petit-fils de l’historien, à la Tilloye. Ainsi les trésors du Plessis ont-ils échappé à la destruction.

Le principal est donc sauvé. Ce qui reste reçoit un autre usage. Dame ! nos deux régiments redoutent l’ennui plus que la mort. Sur un plancher qui s’effondre, un marsouin, qui, dans le civil, est pianiste à l’Olympia, s’aventure avec trois camarades qu’il a convertis à son art, et les voilà tirant, poussant, portant un Pleyel grand format, indispensable à la vie des camps. Un tirailleur rassemble des jouets d’enfants, tire le cordon d’un polichinelle, éclate de rire et montre des dents qui éclairent sa face noire. Les caves ont livré des cachettes ignorées de la propriétaire elle-même, qui distribue la découverte à ses inventeurs. Mais voici des raquettes et des balles de tennis. On installe le jeu dans la cour d’honneur, on envoie des invitations aux camarades. Les violons ne manquent pas à la fête : le sourd orchestre boche donne ses concerts quotidiens. Et quant à la galerie, pour juger des coups, n’y a-t-il pas les observatoires du Piémont ? Les Allemands ont des vues : qu’ils s’en servent ! Qu’ont-ils dû croire, de leur montagne, en apercevant ce va-et-vient, ces figures de quadrillé, ces inconcevables ébats d’une jeunesse narguant le danger ?

Par miracle, il n’y eut pas d’accident. Toutes ces folies sont notées dans une revue qui fut jouée le soir de Noël (1914) par le 2e groupe du 53e d’artillerie. Le pianiste de l’Olympia servit d’accompagnateur. Les scènes de déménagement furent enlevées avec brio. Tant que le plus grand amateur de spectacles que notre temps ait connu, M. Auguste Rondel, académicien de Marseille, n’aura pas casé le manuscrit de cette revue du Plessis dans sa fameuse bibliothèque dramatique léguée d’avance à la Comédie-Française, les revenants de la guerre au courant du théâtre contemporain médiront de sa collection.

Toutes les relèves aux tranchées se faisaient de nuit avant qu’un savant système de boyaux fût aménagé dans le parc. Mais à creuser les boyaux, tirailleurs et marsouins renâclaient fort. Ils préféraient narguer la mitraille. Si l’on jouait en plein jour au tennis, en plein jour aussi l’on s’en allait fleurir les tombes au cimetière militaire installé sous les arbres par les soins du docteur Ferrand et du docteur du Verdier. Un poste de secours avait été organisé dans les douves, presque sur le front, ou