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plutôt sous le front : les blessés, immédiatement soignés et même opérés, évitaient la gangrène gazeuse dont les ravages étaient alors cruels. L’aumônier divisionnaire, l’abbé Léonard, sanctifiait successivement tous les coins habitables par le moyen de son autel portatif : il disait la messe dans les fossés, il la disait dans les caves, il la disait dans la cour, il la disait sur l’escalier. Un matin, le marsouin qui la servait ayant été distrait par la chute un peu trop proche d’un obus, s’entendit rappeler à l’ordre d’une façon toute militaire. La chronique rapporte que l’officiant se permit un juron, mais peut-être a-t-elle confondu avec un vobiscum accentué. Les Pâques de 1915 remplirent l’escalier monumental, tandis que tonnaient les orgues des canons lourds.

Cependant la 2e armée est retirée du front, mise en réserve. Le général de Castelnau est appelé au commandement d’un groupe d’armées : le général Pétain l’a remplacé. La IIe armée sera l’armée de Verdun. Le général Dubois, qui commande la 6e occupe le secteur devant Lassigny et Noyon. Il supprime le précaire permis de séjour. Mme du Pontavice quitte ses pierres en pleurant, et, comme les paysans de son village, elle fait halle aux plus proches maisons habitables. Elle y retrouve Hénot, et Louis Lepère qui groupe ses anciens administrés, et Alépée, le secrétaire de mairie. De temps à autre, en contrebande ou dûment autorisée, elle retournera humer l’air du Plessis et compter sur les murailles les nouvelles blessures. Mais depuis son départ les registres sont mal tenus. On ne sait plus ni qui vient, ni qui s’en va. Les régiments se succèdent sans s’inscrire, et le Pleyel grand format, retour des tranchées, endolori et fêlé, semble un vieux clavecin qui soupire les airs d’autrefois, l’air Louis XIII, et ne les peut achever. D’illustres présences sont signalées. Le général Fayolle, — qui commandera l’armée de la Somme, — est venu, et le général Micheler, et le général Buat, et d’autres encore. Il n’y a pas d’album pour recueillir les signatures.

Les mois, les années passent. Les habitants du Plessis-de-Roye, château et village, n’ont pas consenti à s’en aller tout à fait. Ils sont toujours là, dans le voisinage, attendant. Parfois il leur faut changer de local, pour excès de bombardement, camper plus en arrière. Faut-il qu’ils aient l’espérance chevillée au cœur pour accepter cette attente prolongée et