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inconfortable ! Voici que 1916 s’achève : année douloureuse, année sanglante, mais année déjà glorieuse, l’an de Verdun et de la Somme. Lors de la canonnade de la Somme, nos gens de l’Oise avaient espéré que la bataille s’étendrait jusqu’à Lassigny et Ribécourt. Mais l’orage passait plus au Nord : ils se résignèrent à la patience. Ce serait pour l’année suivante.


III. — EN TERRITOIRE LIBÉRÉ

Comme ces fruits que l’on cueille, verts encore, en automne et qui mûrissent pendant l’hiver, la bataille de la Somme acheva de donner ses résultats au mois de mars 1917.

Mars 1917 : mois des grandes espérances printanières. Sur les vastes chantiers construits à l’arrière du front de bataille, la future offensive s’élaborait. — Ce sera devant nous, songeaient les habitants de l’Oise. Et mystérieusement, sans qu’on sût par quel pressentiment averti, Estrées-Saint-Denis ou même Ressons, ou Marquéglise, voyait revenir, se glissant, se faufilant, s’insinuant, l’un ou l’autre réfugié de Lassigny, de Noyon, de Babeuf qui déjà convoitait de regagner ses terres et sa maison, là-bas, en face, de l’autre côté des lignes, sitôt qu’on y pourrait parvenir, derrière nos soldats. Puis, un beau jour, le 18 mars, le pays, allégé, apprenait que l’ennemi se retirait du saillant de Noyon, que Noyon était libéré, et Lassigny à l’Ouest, et Babeuf et Chauny à l’Est, et Guiscard et Ham plus au Nord. Les Allemands se repliaient sur leur fameuse barrière Siegfried, au Sud de Saint-Quentin et devant la Fère. Ils avaient bien essayé de garder Tergnier et Coucy, mais nos soldats, les talonnant, les avaient bousculés. Ces bonnes nouvelles avaient rempli de joie la France. Elles n’avaient pas surpris les paysans de la région qui, patients, guettaient le moment de rentrer chez eux. Mais dans quel état retrouveraient-ils leurs champs et leur demeure ?

J’appartenais alors à la 1re armée et j’eus la bonne fortune de parcourir, les 19, 20 et 21 mars (1917), peu de temps après le départ des arrière-gardes allemandes, ces régions qui venaient de nous être rendues et qui portaient encore les stigmates de l’occupation. Elles étaient toutes haletantes du poids qu’elles avaient si longtemps porté, et n’osaient respirer encore, comme si elles continuaient de se sentir oppressées. Sur mon