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Elle conclut avec un grand élan : « Vous n’êtes pas de notre religion, vous autres. Mais il n’y a de justice qu’en vous ! »

Ce cri d’appel d’une pauvre femme barbare du bled maghrebin, à combien de cris semblables faisait-il écho, entendus jadis en Syrie, à l’autre bout du monde islamique !


La première évidence qui, de longue date, s’impose en Syrie à l’esprit du nouveau venu, c’est que le conquérant turc, maître trop hautain pour daigner être juste, trop indolent pour se donner la peine d’administrer, trop dur de cœur pour hésiter à supprimer par le massacre ceux qu’il a réduits au désespoir, n’a su gagner, après des siècles de domination, ni les chrétiens ni les musulmans de langue arabe. Dédaigné de ceux-ci pour le rang inférieur qu’il occupe dans la culture islamique, il est détesté de ceux-là pour son incurie inguérissable, entrecoupée d’accès meurtriers. Les uns et les autres le réprouvent dans la mesure où ils ont à souffrir de ses vices, dans la mesure où ils sentent le prix de tout ce qui lui a manqué pour se faire enfin accepter : justice, bonté, savoir, travail méthodique et fécond, disons mieux, d’un mot qui exprime tout, quand on le prend dans son sens large et plein : civilisation. Et cette civilisation, haute ambition des Syriens, c’est à la France plus qu’à toute autre nation qu’ils demandent de les y conduire.


II. — L’ŒUVRE DE LA FRANCE DANS LE LEVANT

C’est que la France, plus que toute autre nation, leur en a frayé les chemins. Dans l’histoire de l’action huit fois séculaire qu’elle poursuit en Orient, un premier trait frappe la vue : dès l’époque lointaine où les idées régnantes semblaient autoriser l’intolérance religieuse la plus extrême, la France s’est montrée libérale, prompte à respecter les croyances et les coutumes des peuples qu’elle rencontrait sous ces nouveaux cieux.

Dans sa belle étude sur la Syrie franque, M. Madelin a montré ici même [1], en s’aidant de textes probants, l’évolution qu’a bientôt subie chez nos croisés, au contact du monde

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1911.