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oriental, la passion religieuse et guerrière qui les avait lancés à la conquête du Saint-Sépulcre. Passées les premières fureurs des batailles, satisfaite la première ferveur de leur exaltation mystique, on sait qu’ils ne restèrent insensibles à aucun des prestiges de cette terre de séduction. On peut croire que l’un des plus puissants sur leurs âmes fut celui du guerrier musulman, de l’Emir magnanime et courtois en qui ils reconnaissaient avec surprise les élégances morales d’une chevalerie qu’ils avaient crue toute chrétienne. Grand événement pour ces simples de se voir ainsi amenés à honorer dans leur cœur, à respecter comme des émules des hommes qui repoussaient leur foi !

« S’il était chrétien, ce serait un vrai baron ! » s’écrie, en décrivant un preux Sarrasin, le poète de la Chanson de Roland. Ce généreux étonnement devant une vertu dont ils ne voyaient pas les sources dut se produire chez beaucoup des nôtres. Leur méditation y trouva-t-elle une réponse dans un texte familier à leur piété sur « la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ? » Certainement ils entrevirent dès lors une vérité qui ouvrait un avenir immense, vérité à laquelle l’Islam eut le malheur de rester fermé, c’est que le croyant doit savoir partager avec des hommes d’une autre croyance les bienfaits d’une société politique juste pour tous, bienveillante pour tous.

Ainsi doit s’expliquer le fait, en lui-même indéniable, que le régime politique institué en Syrie par nos Français aux XIIe et XIIIe siècles et qui s’est prolongé, en Chypre et à Rhodes, jusqu’au seuil des temps modernes, a laissé en ces pays un tout autre souvenir que celui d’une domination fanatique. Les églises qui s’élevèrent ne firent point fermer les écoles coraniques. Les Assises de Jérusalem définirent les droits de chacun. Les marchands de toutes religions frayèrent ensemble sur les mêmes marchés et s’enrichirent mutuellement par un négoce qui mêlait l’Occident à l’Orient.

Par une de ces contradictions qui se rencontrent en toute grande œuvre humaine, le vrai succès moral et politique de nos croisés, partis de leurs châteaux de Champagne et de Normandie, de Languedoc et de Poitou pour aller exterminer l’infidèle, fut d’inspirer à l’infidèle l’aveu qu’il était bon de vivre sous les lois des Francs. Recueillons ce texte décisif cité,