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entre autres, par M. Madelin : « Entre Tebnin et Tyr, écrit le musulman Ibn Djobaïr, nous vîmes de nombreux villages habités par les musulmans qui vivent dans un grand bien-être sous les Francs... » Un autre parle des musulmans qui viennent librement s’établir sous l’autorité du royaume franc de Jérusalem, parce que, « ayant à se plaindre de leur gouvernement et de ses injustices, ils n’ont qu’à se louer de la conduite des Francs, en la justice de qui on peut se fier. » Quand le chroniqueur musulman formule un pareil témoignage, le chroniqueur franc est en droit d’écrire avec une joyeuse fierté : « Terre des Francs est terre de franchise. » Jeu de mots gros d’un bel avenir, profession de libéralisme que la France du XXe siècle aime à retrouver dans ses parchemins.


C’est en 1489 que les Francs perdent Chypre, en 1522 qu’ils perdent Rhodes ; et c’est en 1536 que François Ier conclut avec le Sultan de Constantinople les premières capitulations. Entre le régime franc issu des croisades et la forme nouvelle qu’allait revêtir pour une nouvelle série de siècles l’action de la France en Orient, c’est à peine s’il y a solution de continuité.

Que le Roi très chrétien, même pour faire échec à l’ambition menaçante de la maison d’Autriche, devint l’allié du Grand-Turc, ce n’était pas pour la chrétienté un médiocre scandale. La royauté française eut sans doute à cœur de se le faire pardonner par l’évidence et la grandeur des bienfaits qu’elle saurait, de cette alliance paradoxale, tirer pour l’ensemble du monde chrétien. Il était dans notre destinée de servir en Orient la cause de la civilisation générale par une action continue dont nous saurions varier les formes selon les exigences des temps.

Rappelons ici le fait essentiel qui entraine de si profondes différences entre le monde oriental et celui où nous vivons. La connaissance théorique que nous avons de ce fait générateur a eu beau devenir banale, nos esprits d’occidentaux ont peine à se le représenter dans la réalité vivante de ses conséquences. L’Islam est une théocratie. Ce n’est pas dans son sein qu’a été prononcée la parole qui, prescrivant de rendre à Cééar ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, a distingué pour jamais le domaine de la société civile et celui de la religion. Pour l’Islam il n’y a qu’un domaine. La religion y constitue seule