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les vents n’avaient pu lui arracher. Ainsi, le religieux français, sans qu’il soit question de salaire, soigne les plaies, a des remèdes pour tous les maux ! Au malheureux qui se présente, il ne demande pas quelle est sa religion ! et Dieu, qui ne dit pas ses raisons, lui a révélé les secrets qui guérissent ! A cette évidence, comment rester insensible, si l’on souffre ? Elle atteint dans ce que chacun a de si personnel, — le désir d’être délivré de ses souffrances, — ceux, comme les musulmans, que notre protection politique n’atteignait pas et ceux, comme les chrétiens indigènes, qu’elle atteignait indirectement et de loin.

Le musulman n’a pas d’objection capitale à envoyer là ses enfants. Un enseignement musulman leur restera sans doute nécessaire ; mais l’école musulmane ne suffit plus aux musulmans qui prennent contact avec le monde occidental, puisque cette école, où tout l’enseignement est dicté par la religion même, n’est pas libre de s’adapter à notre conception scientifique des choses. Sans doute aussi ces maîtres français sont des prêtres chrétiens ; maison sait qu’ils s’interdisent tout prosélytisme ; aussi bien, la foi du musulman se sent à l’abri de toute semblable entreprise ; et puis, aux yeux du musulman, n’y a-t-il pas une certaine convenance entre le caractère du prêtre, — même chrétien, — et la fonction d’enseigner ?

Les musulmans n’ont pas attendu la fondation récente encore d’écoles laïques dans les grandes villes pour venir à l’école française. Ils y ont rencontré les latins, les maronites, les chrétiens de toutes les églises orientales, soit schismatiques, soit unies ; ils y ont rencontré les juifs. Des tableaux statistiques, joints au rapport de M. Pernot, nous disent l’effectif scolaire de trois cent soixante-dix écoles soutenues par la France et comment il se répartit entre les divers cultes. Un fait significatif se dégage de ces tableaux. Les écoles créées dans le sein d’une communauté orientale, si méritantes qu’elles soient souvent, n’attirent guère les enfants d’une autre communauté. Elles rayonnent peu au dehors. Tout au contraire, l’école française, qu’elle soit religieuse ou laïque [1]. Là seulement, depuis la

  1. Durant près de quatre ans que j’ai passés en Syrie, je crois bien n’y avoir jamais entendu les mots de cléricalisme et d’anticléricalisme. Les Français, de toute religion, — ou étrangers à toute religion, — soutenaient tous patriotiquement les œuvres religieuses françaises parce que c’étaient les œuvres françaises et qu’elles servaient bien la France. On m’assure que le même esprit a continué de régner là -as. Les écoles laïques qui se sont fondées dans plusieurs grandes villes ont leur clientèle ; les écoles religieuses ont la leur. Les unes et les autres se complètent plutôt qu’elles ne se font concurrence. Et elles ne se combattent pas.