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devoir à ses élèves les plus anciens d’aller seconder les médecins qui combattaient l’épidémie. Ils y allèrent ; et une médaille française récompensa leur bonne volonté. Mais, je le tiens de l’un d’eux, ce dont ils furent le plus fiers fut d’avoir acquis de leur devoir professionnel une notion plus haute et d’y avoir satisfait.

L’ensemble des écoles françaises constitue donc, en résumé, la force active qui travaille avec le plus de succès à créer entre les hommes d’Orient un autre lien que celui de la religion, celui d’une éducation commune dont ils recueillent ensemble les bienfaits. En propageant notre langue dans les conditions que j’ai rappelées, c’est notre génie libéral qu’elles propagent. Elles ont rompu ainsi l’enchantement fatal par lequel le génie théocratique du vieil Orient paralysait les énergies d’une terre qui aspire à revivre. Sans soupçonner le plus souvent, dans leur modestie, toute la portée sociale de leur effort, elles ont créé dans l’esprit de leurs élèves les premières conditions d’une société civile, libérale, également attentive aux droits et aux intérêts de tous ses membres. .

Respect mutuel des consciences, esprit scientifique, sentiment naissant du bien public, ce ne sont encore que les lueurs d’une aube ; mais elles marquent la direction ; la voie commence à s’ouvrir ; on sait par l’exemple du monde occidental quelles perspectives de progrès elle développe devant l’effort des hommes de bonne volonté. Progrès moraux, progrès matériels, ceux-ci, en Orient comme ailleurs, naissent de ceux-là et ne doivent pas l’oublier. Le missionnaire prépare inconsciemment le terrain au négociant, à l’industriel, à l’ingénieur, au constructeur de ports, de Chemins de fer et de routes. Dans ce domaine de la création matérielle comme dans celui de la création morale, la France, au Levant, a marqué sa place. Mais l’œuvre la plus originale de son génie en Orient, comme la plus belle et la plus riche d’avenir, est certes celle qui vient d’être rappelée : la part prépondérante qu’elle a prise à l’éducation du monde oriental par la bienfaisance et l’enseignement. D’autres nations, dans le même ordre, ont fait beaucoup : elles ont donné à leurs œuvres beaucoup d’or, beaucoup de soins intelligents, beaucoup de méthode. Mais, — elles n’en disconviennent pas, — l’humble éducateur français s’est donné lui-même. C’est à ce prix qu’il a pu déposer dans les cœurs le ferment d’une civilisation meilleure.