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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

Ces séances qu’organisaient à Metz, Strasbourg. Colmar, Mulhouse, Sainte-Marie aux Mines, des groupes de patriotes, n’étaient en apparence que des causeries d’ordre scientifique ou littéraire ; elles étaient, en réalité, dans l’expression étymologique du mot, des conférences : je veux dire que, unis par une communion, discrète, des esprits et des cœurs, l’auditoire et le conférencier s’instruisaient réciproquement et mon impression était qu’à regarder simplement ses auditeurs dans le blanc des yeux, qu’à surveiller le sourire fugitif des bouches ou l’éclair soudain des regards, le conférencier s’y instruisait en vérité plus que ceux qui le venaient entendre. Lorsque je revenais de là-bas, des amis de France me disaient : « Qu’est-ce qui vous permet d’être si affirmatif sur la fidélité de l’Alsace ? Quelles déclarations vous a-t-on faites à ce sujet ? — Aucune, et je n’en demandais pas, répondais-je régulièrement ; mais j’ai trouvé comme toujours, des salons à la salle des conférences, l’esprit français qu’un mot révèle, le cœur français que trahit un regard ; je préfère telles choses à des déclarations pathétiques et éloquentes qui, dans certaines bouches, pourraient, si l’on est porté à la méfiance, passer pour outrées ou bien exceptionnellement personnelles. Je suis sûr, sûr une fois de plus, qu’ils restent Français, parce que je me sens là-bas en France. Nous jouons à l’unisson. »

J’ai été, toute mon enfance, entretenu dans ce que j’appelle : l’esprit des Marches de l’Est. Je veux dire que, dans une ville lorraine et à un foyer lorrain, je n’ai jamais eu le sentiment que l’abominable traité de Francfort fût autre chose qu’un épisode passager dans la lutte vingt fois séculaire entre la Gaule et la Germanie : la guerre n’était à mes yeux nullement close, non seulement parce qu’on parlait autour de moi aussi couramment de la Revanche que du retour du printemps après l’hiver, mais aussi parce que j’appris de bonne heure que la lutte continuait, plus obscure, mais aussi âpre, peut-être plus tragique, entre les Vosges et le Rhin, entre la Seille et la Sarre, où tout, des mairies aux écoles et des salons aux cabarets, était champ de bataille remettant en présence le Gaulois et le Suève, — le Welche et le Schwob. Mon père me mena jeune à Strasbourg pour que, connaissant avec l’admirable province l’admirable cité, je comprisse mieux ce que nous avions perdu et devions regagner. J’y retournai souvent. Plus tard, ayant entendu élever