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la seule possible fût le rattachement à la France ? Ils ne le disaient pas. Ils entendaient lutter contre l’invasion en fortifiant chez eux l’esprit alsacien ou lorrain, et c’eût été la pire façon de le faire que de s’exposer à être rejeté hors d’Alsace et de Lorraine. C’est, au contraire, en restant dans la légalité qu’ils entendaient faire triompher le droit, celant au fond de leur cœur la tendresse atavique que, par ailleurs, ils gardaient à la vieille mère française. Cette attitude prudente leur coûtait ; car elle les exposait aux interprétations outrageantes de certains Français ; elle faisait aussi parfois illusion aux Allemands, et ce double résultat explique la double stupéfaction que nous devions, dans les inoubliables journées de novembre 1918, et en pleine Alsace-Lorraine, observer chez beaucoup de Français et chez la plupart des Allemands.

À dire le vrai, ceux-ci ne se leurraient qu’à moitié. Ils tenaient pour acquis qu’après quarante ans de domination, — je me place toujours à la date de 1910, — les Alsaciens-Lorrains, unis à la France par une vieille sympathie, lui étaient à peu près tous devenus étrangers par l’esprit, sinon par le cœur, et peu désireux de se retrouver membres d’une nation presque lointaine. Les manifestations mêmes auxquelles avait donné lieu l’inauguration des monuments de Noisseville et de Wissembourg à l’automne de 1909, la sortie des oriflammes tricolores en plein Reichsland et les acclamations attendries qui les avaient accueillies, ils voulaient y voir l’effet d’un « coup monté » par une « petite faction nationaliste » et peut-être par des agents français ; ils en seraient quittes pour surveiller étroitement les promoteurs des deux cérémonies, Spinner à Wissembourg, Jean à Metz, et, pour les forcer à la première occasion, de gré ou de force à quitter la « terre d’Empire. » Mais une sourde inquiétude les travaillait néanmoins que, pendant les quinze années précédentes, ils n’avaient point connue. S’ils estimaient les nouvelles générations séparées de la France, ils n’étaient pas assez aveuglés pour ne pas apercevoir dans cette même génération les dispositions que je venais de si nettement percevoir, — si délibérément et résolument hostiles à la germanisation. Ils ne comprenaient qu’à moitié la portée d’incidents tels que la fondation du Musée Alsacien, de la Revue alsacienne, du Théâtre alsacien, dans lesquels un Anselme Laugel, — un des Français les plus français de l’Alsace-Lorraine, — un docteur Bucher, —