Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/819

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
815
LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

redoutable adversaire de la race allemande, — mettaient de grands espoirs. Mais ils ne pouvaient se dissimuler que les campagnes du Journal d’Alsace-Lorraine, s’il s’agissait de la grande presse, du Dur’s Elsass, s’il s’agissait de la presse satirique, obtenaient un succès alarmant ; que du groupe de Colmar au groupe de Metz, des Preiss, des Wetterlé, des Hansi, des Zislin, des Helmer, aux amis du chanoine Collin, en Lorraine, les leaders alsaciens et lorrains rencontraient dans le pays un appui qui, quelques années auparavant, avait paru leur manquer. Les statthalters ars et leurs secrétaires d’État restaient perplexes ; l’Alsacien-Lorrain leur paraissait décidément ingouvernable ; les avances qui, sans cesse compromises d’ailleurs par une certaine grossièreté de procédés, avaient semblé cependant obtenir quelques résultats près de certains Alsaciens-Lorrains de la deuxième génération, se heurtaient maintenant à une froideur presque outrageante, parfois même à ce rire alsacien, — fils du rire français, — plus outrageant encore.

L’Allemand se décida à employer la manière forte. Les procès se multiplièrent ; les plus célèbres furent ceux de l’indomptable Wetterlé, de l’âpre rédacteur de Dur’s Elsass, Zislin, et de l’impitoyable Hansi. Ces procès obtenaient l’effet diamétralement opposé à celui qu’en attendait l’Allemand. L’Alsace ne paraissait point se laisser intimider, — il s’en fallait : — les audiences des tribunaux nourrissaient, loin de les étouffer, ces campagnes d’ironie où l’Allemand jouait le rôle de mystifié, insupportable lorsqu’à l’ironie cinglante, on ne peut opposer que des arguments de pédant. Le rire alsacien ! la causticité lorraine ! on peut dire que ce furent contre les Allemands des armes terribles. Armes de faibles, pensait-on à Berlin, qu’on blaserait par la force. Berlin commençait à voir rouge : seule, la perspective d’une guerre contre la France que l’on préparait activement, faisait ajourner les mesures extrêmes. Telle était la situation que je constatais à l’hiver de 1910, et l’on comprend que j’en restasse tout à la fois réjoui au fond de l’âme et inquiet cependant jusqu’à l’extrême angoisse. Car enfin, à quel terrible conflit aboutiraient ces combats sourds, qu’à peine l’Europe soupçonnait, et où était l’issue ?

Je m’étais promis de revenir tous les ans en Alsace-Lorraine.