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Je n’y manquai point. C’est ainsi que je vis grandir et s’enfler la campagne dont, dès 1910, j’avais aperçu l’intérêt passionnant et que, tacitement, encourageait l’attitude, même lorsqu’elle était d’aspect impassible, des jeunes gens de là-bas : le groupe de Colmar continuait son impitoyable entreprise contre le germanisme, et elle devenait si éclatante que la renommée en franchissait enfin la frontière. La France que les œuvres des Régamey, des Delahache, des Acker, des Lichtenberger et par-dessus tout, les Oberlé, de M. René Bazin et les derniers ouvrages de M. Maurice Barrès, de l’Appel au Soldat à Colette Baudoche, avaient préparée à comprendre enfin, se décidait à prêter l’oreille à ce qui se passait en ces Marches de l’Est, où l’effervescence, de l’un et de l’autre côté de la frontière, commençait à gronder. Des revues, des journaux, — fruits d’initiatives personnelles auxquelles il faudra rendre un jour l’hommage éclatant qui convient, — se fondaient, les Marches de l’Est de mon ami Georges Ducrocq, l’Alsacien-Lorrain de Paris, œuvre du vaillant Florent-Matter ; des conférences s’organisaient ; le cercle des étudiants Alsaciens-Lorrains de Paris se fondait ; de tout jeunes gens créaient la Ligue des jeunes amis de l’Alsace-Lorraine. L’idée de l’Alsace-Lorraine, irréductible champion de notre race et de notre esprit, se répandait derechef, — en dépit du scepticisme de certains milieux.

La jeunesse de France après ces quinze années, je ne dirai point certes d’oubli, — l’oubli n’a jamais existé, — mais d’apparente et partielle indifférence, se sentait de nouveau solidaire de la jeunesse d’Alsace-Lorraine. C’était cette belle génération que, des 1911 et 1912, nous voyions s’élever chez nous, si différente de celles qui l’avaient précédée, cette génération dont tout à l’heure je disais le caractère, car, toute pareille à celle qui grandissait depuis quelques années on Alsace-Lorraine, elle était prête à se battre pour tout idéal contrôlé. C’est l’un des phénomènes qu’étudieront un jour les historiens, cette poussée parallèle de deux générations françaises, de l’un et de l’autre côté des Vosges, et il fallait ici s’y arrêter parce que ce phénomène-là explique celui qui n’étonna, — dans les heures de 1918 dont je vais parler, — que ceux qui n’avaient point étudié l’un ni l’autre de ces deux groupes français, les deux jeunesses qui, après ces quarante ans, mues par des aspirations toutes pareilles et une semblable mentalité,