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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

allaient l’une vers l’autre, d’instinct, et qui ainsi étaient prêtes dès que les barrières seraient tombées, à s’enlacer et à se fondre. Le phénomène n’apparut clairement qu’en 1913. Dans un moment de lucidité, Jean Jaurès le perçut ; il y avait chez le leader internationaliste de ces lueurs qui soudain éclairaient son cerveau parfois obnubilé ; on se rappelle ce qu’il écrivait du « mur » que l’Allemagne avait cru élever entre deux parties de la « forêt française : » les arbres dont les racines sous le mur s’enchevêtraient, maintenant le dépassaient, mariant leurs frondaisons ; image saisissante de vérité, surtout lorsque récemment elle se rappelait à notre mémoire dans les rues de Metz, de Strasbourg et de Colmar en ces heures où, le mur écroulé, la France et l’Alsace-Lorraine, se retrouvant, se confondaient. Un jour, Jaurès, secouant l’emprise germanique, avait vu clair.

C’est qu’en 1913, un dernier incident avait arraché les derniers voiles : c’était l’affaire de Saverne.

Lorsque, le 21 novembre dernier, j’arrivais à Saverne, si ornée de guirlandes, de drapeaux, de banderoles et d’arcs de triomphe, que nulle ville d’Alsace-Lorraine ne me devait donner pareil spectacle, je m’arrêtai spécialement à un arc de triomphe ; il portail cette inscription : « Aux héros de la liberté ceux qui ont souffert pour elle. — Affaire de Saverne, novembre 1913. — Entrée des Français à Saverne, novembre 1918. » Plus que tout ce que je voyais en cette ville en fête, ces mots me frappaient comme un cri de triomphe sonnant juste. Saverne revendiquait avec une légitime fierté l’événement qui, dès 1913, avait posé derechef devant le monde entier cette question d’Alsace-Lorraine que, même en France et même en 1913, nous étions trop peu de gens encore à déclarer rouverte. La grande guerre, en dépit des apparences, est sortie de Saverne plus que de Sarajevo et les dernières révélations le confirment : l’Allemagne se servit de l’Autriche pour déclencher une guerre, nécessaire à ses yeux pour établir par le fer une domination que, jusque dans une province réunie à l’Empire depuis quarante-trois ans, elle se jugeait décidément incapable de faire accepter aux cerveaux comme aux cœurs.

On connaît l’incident et comment le mot outrageant qu’un petit lieutenant crachait à la face d’un soldat alsacien déchaînait l’orage. Le « Wacke » (voyou) d’Alsace faillit devenir aussi célèbre que le « Gueux » de Hollande ; Saverne que, je ne sais