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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

apparaître en Alsace et en Lorraine avant Noël ou même avant Pâques, bien peu le pensaient. Et soudain on apprenait qu’ils seraient là, sans qu’aucun coup de fusil fût désormais tiré, avant une semaine !

Il y eut un mouvement de stupeur folle comme devant un miracle prodigieux, — une de ces visions de Dieu que connurent des saints et auxquelles d’abord ils refusaient de croire. Et puis un grondement sourd de joie, quelque chose d’indescriptible : des âmes tenues courbées sous un joug de fer et qui soudain non seulement se redressent, mais s’envolent.

Telle était cependant l’ankylose infligée par le carcan aux esprits et aux cœurs que, dans son bonheur, l’Alsace-Lorraine tourbillonna d’abord comme éperdue. Devant elle se déroulaient, en attendant les grands spectacles, d’étranges scènes, plus imprévues peut-être que le retour des Français même, dans tous les temps espéré : l’armée allemande, cette armée allemande qu’ils avaient vue depuis quarante-huit ans compacte comme une masse d’acier bien trempé, cette armée allemande redoutable en tous les temps par sa discipline de fer et la pratique du respect hiérarchique, se dissolvait dans la sédition. On peut dire que pendant sept jours, — assez exactement du 6 au 13 novembre, — un vent de folie passa à travers l’Empire ; dans la hâte que venaient de mettre à signer une capitulation si complète les plénipotentiaires de Berlin, il y avait le sentiment très net que tout s’écroulait derrière eux et qu’ils n’avaient pas un instant à perdre. L’Alsace-Lorraine assistait, stupéfaite, à cet écroulement. Dans les rues, aux portes des casernes, des soldats abordaient brusquement des officiers, leur arrachaient les insignes du commandement sans que les victimes de ces agressions inouïes, la veille encore si férus de leur autorité et l’exerçant avec une si grande arrogance, opposassent la moindre résistance. Alors les soldats se répandaient dans les cités en criant : « Vive la liberté ! Vive la révolution ! » et, entraînant quelques ouvriers allemands, formaient avec eux un Conseil d’ouvriers et de soldats (Arbeiter und Soldatenrath) qui, avec plus de timidité, à la vérité, que les Soviets russes, déclarait se saisir de toute autorité militaire et civile, s’installait ici à la mairie en dépossédant le Conseil municipal, là à quelque palais gouvernemental, — siège d’un général ou d’un préfet, — on il tentait de s’ériger en gouvernement