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local. Le drapeau impérial abattu, ces gens érigeaient sur les monuments usurpés le drapeau rouge de la révolution. D’ailleurs révolutionnaires à la mode germanique, qui est aux antipodes de la slave, ils prenaient aussitôt des arrêtés destinés à créer l’ordre là même où ils incarnaient le désordre et déjà faisaient défense, — l’éternel Verboten, — à quiconque, sauf à eux, de piller. Reconnaissant en ces singuliers révolutionnaires des frères bâtards, mais des frères quand même et élevés par la même mère, les hauts fonctionnaires prussiens, comme les officiers, s’inclinaient devant cette situation qui paraissait plus monstrueuse à la population qu’à eux-mêmes ; et, s’accommodant par de secrets concordats avec les rouges, les hommes de l’aigle noir restaient en place, — tout en se faisant petits.

Telles furent les scènes dont Metz, Château-Salins, Haguenau, Strasbourg, Colmar, Mulhouse et autres cités, furent le théâtre. Les habitants se demandaient avec une nouvelle terreur où l’on allait : le joug du despotisme prussien ne se brisait-il que pour qu’ils fussent livrés à des bandes qui, le précédent russe remplissant les esprits, pouvaient soudain plonger le pays dans une anarchie peut-être sanglante ? Et, le 11, on apprenait que l’armistice, par son article 2, prescrivait l’occupation à bref délai de l’Alsace-Lorraine par l’armée française. Les circonstances étaient telles que cette armée allait être deux fois libératrice : ayant brisé le joug de l’Empire, elle allait étouffer par sa seule venue les ferments de la Révolution et apporter ainsi (jamais la formule ne fut plus exacte) l’Ordre avec la Liberté : jamais, dans l’histoire du monde et par le seul fait des combinaisons du Destin, nos soldats n’étaient apparus avec un caractère plus accusé d’insignes bienfaiteurs.

Ils allaient paraître.

C’était le mot qui courait. Quand ? Dès le 12, on croyait les voir arriver. Déjà les troupes allemandes du front prochain refluaient, en retraite et, en dépit du calme qu’eût pu leur rendre l’armistice, presque en déroute. Du bassin de Briey, de la Woëvre, des lignes de Lorraine, elles refluaient sur le pays messin et la région des étangs, en marche vers la Sarre ; des cols des Vosges, elles descendaient sur Saverne, sur Schirmeck, sur Sainte-Marie-aux-Mines ; de Munster, où quatre ans avant les Français les avaient déjà rejetées, elles gagnaient Colmar et, des limites du Sundgau, depuis 1914 reconquis, Mulhouse