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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

en route pour le Rhin. Ce n’était plus cette belle armée allemande que, même dans la retraite, on ne s’imaginait pas, depuis un demi-siècle, capable de débandade. Après cette longue et dure guerre terminée par une éclatante défaite, le physique et le moral étaient, — momentanément, — au plus bas. Depuis l’effroyable déroute qui avait suivi Iéna et Auerstædt, à aucun moment, soldats prussiens n’avaient paru si pitoyables. Je m’en rapporte, pour plus de sûreté, à un Allemand qui les allait voir arriver à Mayence quelques jours après. « Hélas ! écrit ce témoin, ils reviennent fatigués, misérables, fourbus. La belle armée d’Hindenburg, qu’est-elle devenue ? Foch l’a mise en pièces en moins de trois mois ! » Mais là où un Mayençais s’apitoie, l’Alsacien, le Lorrain, tremblants de joie, se gaussent. Cette armée en désordre, qui sème de ses munitions les routes parcourues, c’est la preuve enfin éclatante de la défaite allemande, de la victoire française. Comme elle était « belle » en effet, — dans l’acception qu’un Allemand peut donner au mot, — cette armée allemande ! On se rappelle à Metz, à Strasbourg, les grandes parades d’antan, quand l’empereur Guillaume, le casque à aigle d’or sur la tête, le bâton de maréchal en main, passait sur un front impeccable. Et depuis, en a-t-on vu passer, en route pour le front de France, de ces splendides bataillons, formidables et implacables, que nui ne semblait devoir rompre ! Qu’ils devaient être forts, ces Français qui les avaient rompus !

Comme les soldats des garnisons quelques jours auparavant, ils montraient une indiscipline, à la vérité triste et hargneuse, accusaient leurs officiers, acclamaient la paix, — cependant honteuse, — que Foch leur imposait et la liberté qu’ils n’apercevaient point, comme l’Alsace-Lorraine, souriante et sereine, mais pleine de trouble et génératrice de discorde. « Une cohue ! me dit un Alsacien. Les hommes assaillaient des camions, des fourgons. L’évacuation se faisait sans aucun ordre. Ils se précipitaient vers le Rhin comme s’ils eussent voulu le mettre un quart d’heure plus tôt entre eux et les Français qui, disaient-ils, étaient « sur leurs talons. »

On pense dans quel état d’esprit et d’âme étaient les habitants ! Avant que de savourer les joies de l’amour, la Providence leur permettait de goûter celles de la vengeance et la satisfaction de leurs plus légitimes rancunes. L’événement comblait leurs