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vœux au delà des espérances les plus audacieuses d’antan.

Déjà et sans attendre que les armées allemandes, qui défilèrent ainsi jusqu’au 16, eussent évacué le territoire, l’Alsace-Lorraine étalait sa joie. Il régnait dans la province une fièvre intense. Intense, elle devait l’être, car tout se réunissait à cette heure pour la surexciter. Avec l’armée allemande repassant en déroute dans ces rues foulées depuis quarante-huit ans par elle avec tant d’orgueil, ils voyaient s’écrouler l’odieuse administration prussienne. Dès le 11, la deuxième chambre du Landtag d’Alsace-Lorraine s’était érigée en Assemblée nationale et avait élu une sorte de comité exécutif où tous les groupes étaient représentés : le libéral avec M. Burger, le catholique avec M. Heinrich, le socialiste avec MM. Imbs et Peirotes, le lorrain avec M. Jung, tandis qu’un instant M. Ricklin cumulait la présidence de l’Assemblée avec des fonctions quasi ministérielles ; ce comité, proclamait l’Assemblée en une déclaration de style quelque peu incertain (le statthalter était encore dans le palais voisin), avait comme unique tâche de maintenir l’ordre public et d’expédier les affaires « jusqu’à ce que notre situation soit définitivement éclaircie. »

Mais, ainsi qu’il arrive dans ces périodes de révolution, la population débordant ses timides représentants, estimait, elle, que la situation était parfaitement « éclaircie : » on allait redevenir Français. Elle laissait, sans paraître le moins du monde s’en soucier, l’Assemblée réclamer le 13 au « chancelier de l’Empire » (mais qui donc était chancelier ?) l’élargissement de tous les Alsaciens-Lorrains détenus. L’Alsace-Lorraine, elle, ne demandait rien aux Allemands, — que de vider les lieux. En vain ceux-ci, essayant de jouer leur dernière carte, faisaient-ils campagne, appuyés par quelques Alsaciens nettement compromis, en faveur d’une autonomie qui ferait de l’Alsace-Lorraine une petite Belgique ; en vain, pour entraver l’élan déjà sensible du peuple vers la France, représentait-on aux catholiques comme aux protestants que celle-ci allait apporter, avec la séparation de l’Église et de l’État, la suppression du budget des cultes, « l’école sans Dieu, la déchristianisation et la corruption des mœurs, » aux ouvriers que leurs retraites seraient compromises, peut-être perdues, et les lois ouvrières réduites à néant, aux industriels que leurs affaires, toutes orientées vers l’Allemagne, étaient guettées par la ruine. Des curés répondaient