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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

par de beaux haussements d’épaules à ces suggestions, ouvriers et industriels y paraissaient insensibles. On aspirait à la liberté française, — sans chercher ce qu’il en serait, — et surtout on ricanait devant les appels à cet autonomisme, que, quelques semaines auparavant, les Allemands condamnaient au silence sous menace de déportation et que maintenant ils prônaient dans un langage qui puait, comme tout ce qui émanait d’eux, l’imposture et l’hypocrisie. Quant au plébiscite, — la « dernière position, » — des Alsaciens disaient tout haut : « Ils vont l’avoir, le plébiscite ! »

Strasbourg n’avait pas attendu l’armistice pour entrer en ébullition. Si près de Kehl, la grande ville avait été plus et mieux instruite que le reste du pays de la déconfiture allemande qui, dès les premières heures de novembre, s’affirmait. Dès le 7, l’agitation y avait été grande : les cocardes tricolores commencèrent à paraître à certaines boutonnières, dès le 8, sous l’œil consterné des policiers qui, mieux informés encore que qui que ce fût, renonçaient à sévir, sachant ce qu’un prochain avenir leur pouvait réserver. Les étudiants alsaciens avaient aussitôt couru s’assembler aux pieds de Kléber. Devant le monument où, sous la statue de bronze, repose le corps du héros d’Héliopolis, pendant quarante-quatre ans, des générations d’étudiants étaient venues, muette mais imposante manifestation, une fois par an défiler sans un cri ; mais depuis quatre ans, ce pèlerinage silencieux même leur était interdit. La jeunesse, le 8, se rua vers la statue : elle fut escaladée, parée des couleurs tricolores et d’une couronne de laurier ; des tribuns improvisés haranguèrent les camarades ; un cortège se forma qui, drapeaux tricolores en tête et, — en ce Strasbourg où la veille encore défense était faite, sous peine de prison, de parler français, — aux cris de « Vive la France ! » la jeunesse alla casser les vitres de la maison où résidait encore le prince Joachim de Hohenzollern, dernier fils de l’Empereur. C’était l’heure où, prêt à signer la capitulation, Erzberger arrivait avec sa troupe devant Foch. On pense si l’agitation n’ayant pas cessé du 9 au 11, elle augmenta le 12, le 13. Le Conseil des ouvriers et soldats faisait en vain promener le drapeau rouge ; ce n’était pas ce drapeau-là qui, pour les Strasbourgeois, devait remplacer l’autre, c’était « le Tricolore, » et il sortait de tous les trous, malgré les avertissements de prudentes personnes