Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/840

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
836
REVUE DES DEUX MONDES.

qui estimaient que la jeunesse allait un peu vite en besogne.

Cependant, ce frisson précurseur qui, à Strasbourg, avait jeté la jeunesse aux pieds de Kléber, agitait Metz aussi. Strasbourg est une ville ardente et violente ; on comprend que l’Hymne à l’armée du Rhin, — devenu la Marseillaise, — en ait jailli, brûlant, un soir, comme la lave tout naturellement jaillit du volcan. Metz, que les observateurs superficiels tiennent seuls pour froide, est une ville religieuse et grave, chez laquelle le sentiment est profond et l’émotion d’autant plus contenue qu’on la sent plus intense. Dans les journées qui précédèrent et suivirent les conclusions de l’armistice, il y eut, de l’Esplanade, où Ney attendait, à la place d’armes, où Fabert semblait frémir, un long mouvement sans un cri : les gens se rencontraient qui se serraient silencieusement la main et parfois s’embrassaient. Le Conseil municipal avait envoyé à Strasbourg le premier adjoint, M. Jung, député à la deuxième Chambre, et l’on attendait le retour de ce patriote. Mais on allait au tombeau de Dupont des Loges, au cimetière de Chambrière pour dire aux morts : « Ils vont arriver ! » Cependant, le Conseil des ouvriers et soldats qui s’était emparé du palais du Gouvernement, promenait, là aussi, ses drapeaux rouges au milieu d’une indifférence teintée d’un peu d’inquiétude. On aspirait à voir arriver les troupes : des émissaires partirent pour le quartier général du général Mangin établi à Champigneulle, et pour Nancy où l’on se voulait informer. Lorsque j’arrivai moi-même à Champigneulle, le général recevait cette première mission de Metz toutes portes closes, — ce qui n’allait pas sans causer une sorte d’émotion sacrée.

L’intérêt prodigieux de ce moment historique s’avivait de tout ce que le mystère développe d’émotion : car, au fait, si l’Alsace-Lorraine se demandait quand, où, comment, nos troupes entreraient, de Nancy à Remiremont, — si près des frères qui nous tendaient les bras, on en était encore à ignorer, sinon dans quels sentiments ils vivaient, du moins quel en était l’exact degré. Songeons qu’en ces journées des 12, 13, 14, le double mur qui depuis quatre ans nous séparait de la région du Rhin, à peine s’écroulait : les armées allemandes abandonnaient leurs lignes ; mais, outre qu’elles laissaient entre la France et l’Alsace-Lorraine de terribles coupures, il était formellement interdit de les franchir de part ni d’autre ; notre