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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

ligne à nous restait bien gardée, et c’était miracle que quelques Alsaciens ou Lorrains audacieux fussent, malgré tout, parvenus à la passer. Mais ils étaient trop impatients d’embrasser des Français, de mêler leur joie à la nôtre, — et subsidiairement, me confia l’un d’eux, de rapporter là-bas des stocks de drapeaux, — pour que, de Metz comme de Strasbourg, quelques-uns, en ce temps de miracle, n’eussent réalisé ce tour de force.

Dès le 15, certains apparurent, interrogeant et interrogés avec la même avidité et dans un état d’exaltation communicatif. Quels bruits de bocks dans les brasseries de Nancy où nous les rencontrâmes ! Quels propos pleins d’ivresse ! Ils révélaient le calvaire de leur pays en ces quatre années, la débandade des Boches en retraite, la joie intense des habitants, la fièvre avec laquelle ils se préparaient à nous recevoir ; ils demandaient aussi qu’on se hâtât parce que, les reîtres partis, les rouges menaçaient de s’emparer des cités. Ces propos déjà couraient notre province lorraine et y surexcitaient l’émotion. Je garde de mes quatre traversées de Nancy du 14 au 18 l’impression que, sous les drapeaux frissonnant aux fenêtres, les pavés de la capitale lorraine et jusqu’à ceux de la paisible place Stanislas frémissaient. Dès le 11, une retraite aux flambeaux monstre avait crié la joie de la grande ville de l’Est et de l’armée Mangin, et, depuis cette soirée historique, les sentiments ne cessaient de s’exalter. Quel forum agité que tel restaurant de Nancy, de 7 à 9 heures du soir, en ces moments sans précédents !

De Metz à Mulhouse, l’agitation, cependant, grandissait. On peut dire que la journée du 16 fut en Alsace-Lorraine une vigile étonnante : les nerfs étaient tendus à craquer. L’armistice autorisait nos troupes à franchir « le 17 à 0 heure » les lignes allemandes entre Nancy et Metz, entre Lunéville et Château-Salins, les sommets des Vosges, du col de Saverne au col du Bonhomme et, de la région de Munster à celle de Dannemarie, la ligne qui couvrait Colmar et Mulhouse, « On les attend avec des battements de cœur, — à faire mal. Et c’est si boni » écrit un Colmarien.

On en avait fini avec les Boches !

Les derniers avaient, — tout au moins dans la première zone que les Français allaient occuper, — vidé les lieux le 15 au soir. Mais dès ce jour-là, tandis que les soldats d’Allemagne s’éloignaient