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Justice pour le toit crevé par la mitraille,
Pour le mur qui n’est plus que plâtras et pierraille,
Pour la huche et la table et le coffre et le lit,
Pour tout ce que le Mal détruit, insulte et raille,
Et tout ce qu’il salit.

Justice pour la nef, l’abside et la rosace,
Pour les vitraux couvrant de leurs débris la place,
Pareils à des champs de bluets,
Pour tous les volets clos des villages d’Alsace
Etrangement muets.

Justice pour le Belge et pour le peuple serbe
Qui n’a plus pour foyer que les cailloux noircis
Autour desquels, soufflant sur un acre feu d’herbe.
Quelques soldats se sont assis.

Justice pour l’otage accroupi dans la geôle,
Qui sent que la folie au jour tombant le frôle,
Et pour les prisonniers qu’on attache aux poteaux,
Ou qui, rêvant, les yeux aux trous des palissades.
Regardent s’assombrir dans les brumes maussades
Le cercle horrible des coteaux.

Justice pour les arts et les travaux paisibles,
Pour les humbles métiers diligents et joyeux,
Et justice surtout pour les biens invisibles
Que nous tenons de nos aïeux.

Justice pour l’Esprit, pour qu’un soir de défaite.
Dans la confusion dont parle le prophète,
Ne s’éclipse pas tout à coup
Le peu qui fait que l’homme est différent du loup.

Pour que la dernière minute
Qui succède à quatre ans de lutte
Ne rende pas notre effort vain.
Pour que, sous le choc de la brute,
Nous n’allions pas dans notre chute
Renverser le flambeau divin.